Xinjiang : Une « Grande muraille d’acier »

Depuis Deng Xiaoping, la Chine investit infatigablement au Xinjiang. L’objectif est de désenclaver un « territoire autonome » séparé du reste du pays par 1000 km de désert du Taklamakan, et acheter la paix sociale par la croissance, en dépit des conflits ethniques. Les fonds ainsi déversés ont transformé le bassin du Tarim en une puissante base agroalimentaire (tomate, piment, raisin sec, vin, coton) et énergétique – charbon (40% des réserves), pétrole (20%), éolien et solaire. En 2014, 53 consortia déversaient 300 milliards de $ sur 685 projets, et la province investissait 130 milliards en infrastructures. Ce Far-West chinois était bien parti.

Aujourd’hui, le tableau a bien changé. Sous une pression autoritaire écrasante, la région retombe dans une ambiance de camp retranché, qui n’avait jamais disparu, mais qui redevient le trait prédominant, gommant toute velléité de tolérance « bon enfant ».

À travers ce territoire grand comme trois France, des dizaines de milliers d’hommes en armes gardent les grands axes et presque toutes les intersections de Kashgar. En toutes villes se multiplient les parades politico-militaires, les survols d’hélicoptères et contrôles d’identité. Chaque jour, les commerçants doivent participer à des exercices d’autodéfense contre des attaques terroristes, et ont dû équiper leurs boutiques de caméras, boutons d’alerte et portes blindées—à leurs frais.

D’abord pratiqués au niveau local, une longue série de délits de type islamique est étendue au territoire  au 1er avril :  port de barbe longue ou du voile (délits qui barrent aux contrevenants l’accès aux gares et aéroports) ; empêcher la diffusion publique de la TV ou la radio ; boycotter le mariage civil au profit d’un mariage religieux, ou l’école publique au profit de celle confessionnelle ; saboter le planning familial ; choisir des noms trop islamiques ; utiliser le terme « halal » de manière à empiéter sur la laïcité ; faire délibérément des graffitis sur les pièces d’identité ou autres documents officiels…

De multiples primes à la délation apparaissent, parfois d’une générosité surprenante – comme pour convaincre le citoyen de rester sourd à l’appel de la solidarité ethnique. Cinq millions de ¥ pour un attentat éventé, 4 millions pour une armurerie clandestine, 3 millions pour des passages clandestins de frontière, 2 millions pour des fonds passés à l’étranger, 50.000¥ pour la vente au noir d’une voiture d’occasion, ou d’une bonbonne de gaz. Enfin, une prime modeste récompense la délation d’une école coranique nocturne, d’un mariage forcé, de l’achat de stocks d’allumettes…

Yasin Sidik, haut fonctionnaire à Kashgar, exhorte la population à déclarer la guerre aux séparatistes. Un cadre de Hotan est limogé pour « infirmité politique »—avoir refusé de fumer devant d’autres musulmans. Pour de tels comportements à « double visage », 97 cadres ont été punis. Sous ce joug, un sentiment général de discrimination est perceptible, même chez la majorité de Ouïgours s’efforçant d’éviter les problèmes : « pour 5000 qui se comportent mal à travers le territoire, déclare l’un d’eux, nous sommes 8,6 millions à en pâtir » !

À Kashgar, aux coins des rues, fleurissent des milliers de mini-commissariats, points de surveillance qui se veuillent accueillants, invitant à s’arrêter pour papoter ou prendre un thé gratuit. Mais apparemment, même chez les  Han, le succès est mince…

Trois ans après les faits, Pékin dévoile qu’une filière d’exfiltration de militants ouïgours vers la Turquie a été démantelée à Hainan en 2014. À la même époque avaient été dévoilées des filières du Yunnan vers la Thaïlande. Ainsi, durant l’été 2015, 109 Ouïgours transfuges étaient déportés vers Pékin.

Cette grande campagne est pilotée par Chen Quanguo, le Secrétaire du Parti de la Région depuis septembre 2016. Il avait été nommé pour sa fermeté suite à son succès dans son  poste précédent, le Tibet. Il y avait forcé les habitants à remettre leurs passeports au commissariat, puis conditionné leur permis de sortie du territoire à leur bonne attitude.

En mars à Pékin, en marge du plenum de l’ANP, un sommet « Xin-jiang » avait eu lieu, présidé par Xi Jinping. L’initiative faisait suite à des mois de violence au Xinjiang entre Kashgar et Hotan : 5 personnes étaient tuées en décembre par explosifs, 8 en février à l’arme blanche…

À quoi ce climat violent est-il imputable ? Pékin l’attribue à la montée de l’intégrisme aux portes de la Chine via Afghanistan et Pakistan, Kazakhstan et Kirghizstan.
Quoiqu’il en soit, cette violence rampante et persistante fait son effet sur le reste de la société, y induisant un sentiment de frustration et d’inquiétude. Au Ningxia comme dans l’Anhui, émergent des manifestations antimusulmanes. À Hefei, des milliers de résidents tentent aujourd’hui de bloquer la construction de la nouvelle mosquée de Nangang. C’est un fait choquant et récent, car ce sanctuaire doit relayer celle datant de 1780, construite par la minorité Hui. Or la mairie ne dénonce que mollement le mouvement de refus— contrairement à 10 ans en arrière, où l’autorité réagissait vite contre des actes anti-islamiques (isolés) à Shenzhen, à Lanzhou ou à Dujiangyan. Aujourd’hui, selon M. al-Sudairi doctorant à Hong Kong et expert de l’islam en Chine, « la perception de l’Islam est en train de changer, comme celle d’une religion porteuse de problèmes… ».

Pékin s’inquiète pour son plan de nouvelle route de la soie, « une ceinture, une route » (OBOR). Pour exporter massivement ses infrastructures, la Chine doit ouvrir ses frontières vers l’Asie Centrale. Mais comment le faire, si de l’intérieur, l’Islam s’embrase ?

On peut cependant se demander si la solution retenue sur le Xinjiang, la « grande muraille d’acier » est la bonne. Plus la répression s’installe, plus la résistance suit, risquant d’aliéner la sympathie des Ouïgours pour cette sorte de « Plan Marshall » à la chinoise.

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