Petit Peuple : Nankin (Jiangsu) – Li Yaozhu : réseaux sociaux, cure de jouvence ?

Nankin (Jiangsu) – Li Yaozhu : réseaux sociaux, cure de jouvence ?

« Mieux vaut allumer une chandelle que de maudire l’obscurité » (与其诅咒黑暗不如点亮蜡烛, yǔqí zǔzhòu hēi’àn bùrú diǎnliàng làzhú). Ce proverbe n’a cessé d’inspirer Li Yaozhu, une élégante retraitée d’une soixantaine d’années, attablée avec sa vieille mère dans un restaurant de dim-sum huppé du centre de Nankin. Pourquoi se plaindre quand une solution, toujours, ne manque pas de poindre à qui sait la chercher ? Quelles ruses n’a-t-elle pas déployées pour obtenir de son mari le financement de sa boutique de vêtements il y a plus de vingt ans quand, la quarantaine encore pimpante, elle découvrait qu’il la trompait…

Monsieur tenait à sa réputation, il la garda en échange d’une boutique. Chacun des époux vivrait sa vie amoureuse comme il l’entendait tout en maintenant une façade commune.  Li Yaozhu se consola vite, passionnée par la mode, et une clientèle de plus en plus fidèle qui appréciait ses conseils et son caractère de battante.

En lieu et place d’une vie amoureuse, elle recueillit bientôt sa mère chez elle. Mais, quand la retraite, puis le Covid-19 furent venus, elle se retrouva bien ennuyée : plus d’interactions, plus de voyages, et toutes ces plateformes digitales à maîtriser pour effectuer les contrôles demandés par le gouvernement.

Monsieur n’était jamais là, en voyage, dans d’autres bras. Le confinement est arrivé et Madame Li s’est retrouvée seule avec sa mère, chez elle, peinant à commander de la nourriture avec son téléphone portable, perdue quand il a fallu télécharger les apps santé permettant d’enregistrer les résultats des tests COVID quotidiens.

Les appels de son fils, à Pékin pour ses études, venaient rythmer de longues plages d’ennui. Mais Madame Li en sortait souvent frustrée quand il parlait de vidéos postées sur Douyin (version chinoise de TikTok), de commentaires sur Xiahongshu (sorte d’Instagram chinois), de cette vie virtuelle qui maintenait des liens malgré les confinements à répétition. Elle n’y comprenait rien.

Un jour, dépité devant son ignorance, son fils finit par lâcher : « Tu n’es vraiment pas une Glamma, toi ! Et pourtant, tu es plus jeune qu’elles ! » De quoi parlait-il ? Des Glamma Beijing, ce quatuor de retraitées pékinoises qui connaissent un succès fou sur le réseau Douyin depuis 2019 (cf photo). Plusieurs millions d’abonnés raffolent de leurs photos et vidéos où on les voit, épanouies et élégantes, arpenter les grandes artères de la capitale en tenues chics et assorties, silhouettes longilignes, démarches chaloupées, talons hauts et maquillage sobre, tout cela à plus de 70 ans.

Fidèle à son proverbe fétiche, Madame Li a pris son courage à deux mains et s’est lancée, elle aussi, jetant son dévolu sur l’application Xiaohongshu, avec sa mère de 83 ans pour modèle. Sur cette application très populaire (plus de 200 millions d’utilisateurs) et facile d’utilisation, permettant une large audience et un mélange de génération, son compte serait comme un journal de bord, mettant en scène dans de courtes vidéos sa mère et ses choix vestimentaires. Ce serait une façon de rendre hommage à son goût très sûr, une manière aussi de recréer une communauté, que sa retraite, la vente de la boutique et le COVID avaient fait disparaître.

À sa grande surprise, la vidéo a du succès, les suivantes, également. Le pli est pris, le modèle à portée de main. Aujourd’hui, Madame Li passe deux jours par semaine à alimenter son profil et réjouir ses 70 000 followers, dont plus de la moitié sont des jeunes entre 18 et 25 ans. L’ennui est loin, la vie, pleine de surprises.

Contre toute attente, lancer ce compte Xiaohongshu aura éclairé d’une lumière vive une période pourtant difficile. La mère de Madame Li semble avoir rajeuni de plusieurs années et piaffe d’impatience devant les voyages à nouveau possibles. Madame Li elle-même se sent à nouveau utile, plus agile, moins déprimée par le temps qui passe. Ses milliers de followers les complimentent, elle et sa mère, sur leur élégance, lui disent qu’ils aimeraient vieillir comme elle. Avec certains, de véritables échanges s’instaurent qui lui permettent de mieux comprendre la façon de vivre des jeunes, de mieux comprendre son fils. Ces jeunes lui avouent être rassurés par sa personnalité, loin de la vieillesse acariâtre et démodée qu’ils avaient en tête.

Le Covid aura au moins permis cela : cet accès des anciens aux plateformes digitales et aux réseaux sociaux. Un moyen de rompre la solitude des deux côtés de la vie, de rester connecté entre générations. Les personnes âgées y apportent leur regard sur la vie et leur sagesse, et apprennent à mieux comprendre les plus jeunes.

La nuit sera toujours la nuit et si ce n’est plus une chandelle qui trouera l’obscurité, un écran de téléphone portable le fera tout aussi bien !

Par Marie-Astrid Prache

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