Après des débuts timides, la Chine accélère le rythme de sa campagne de vaccination. En quelques semaines, le pays est passé d’un million de doses injectées quotidiennement, à 5 millions début avril. Initialement réservée à certains groupes à risques (personnel hospitalier, chauffeurs de taxi, livreurs, douaniers…), puis aux 18 – 59 ans, la vaccination a été ouverte aux plus de 60 ans – tranche d’âge qui représente 18% de la population – mais aussi aux centaines de milliers de ressortissants étrangers qui vivent dans le pays.
Au 10 avril, 164 millions de doses avaient été administrées en Chine. Un chiffre impressionnant faisant du pays le n°2 mondial en nombre d’injections, après les États-Unis. Pourtant, rapporté à son immense population, la Chine n’a vacciné que 10% de ses habitants, en retard sur les pays occidentaux. L’objectif est de porter ce chiffre à 40% fin juin (soit 560 millions de personnes), en quête de l’immunité collective, calculée en multipliant le nombre de personnes vaccinées par le taux d’efficacité des vaccins.
Pour y arriver, il faudrait injecter 10 millions de doses par jour. Un véritable challenge pour les autorités, qui font face au scepticisme et au manque d’empressement de la population, se sentant en sécurité en Chine.
« La vaccination doit être considérée comme une tâche politique majeure », a décrété la vice-première ministre Sun Chunlan, sur le front depuis le début de la pandémie. Il en va de la crédibilité du modèle chinois de lutte contre le virus sur la scène internationale.
Message reçu 5 sur 5 dans les grandes villes et dans les provinces les plus touchées par le virus (Hubei et Heilongjiang notamment), devenues les fers de lance de la campagne de vaccination.
À Pékin, cœur politique du pays qui fait l’objet d’une attention particulière depuis le début de la pandémie, déjà 9 millions d’habitants sur les 22 millions en ville auraient été inoculés. D’ici le mois de mai, la capitale devrait avoir atteint un taux de vaccination de 70%, seuil de l’immunité collective. Pour cela, les autorités locales n’ont pas hésité à offrir des récompenses aux vaccinés – des bons d’achat utilisables dans certains supermarchés ou deux boites d’œufs pour les sexagénaires. Dans certaines rues, des affichettes (cf photo) ont fait leur apparition sur les portes des résidences ou les vitrines des commerces : elles sont de couleur verte, jaune ou rouge, indiquant le taux de vaccination (au-dessus de 80%, entre 40% et 80%, inférieur à 40%).
Aucun doute, la pression des comités de quartiers auprès des habitants se fait de plus en plus forte : les coups de fil sont réguliers, parfois accompagnés de mises en garde… Le long des avenues, des calicots rappellent que « se faire vacciner est le droit, l’obligation et la responsabilité de chaque citoyen ».
Les 92 millions de membres du Parti, employés de firmes d’État et fonctionnaires, sont tous sollicités pour montrer l’exemple – sauf contre-indication médicale. En un contraste saisissant avec les images relayées par les médias chinois de chefs d’État étrangers se faisant administrer un vaccin « made in China » (le dernier en date étant le Président serbe), aucun dirigeant chinois n’a fait l’objet d’une telle mise en scène, probablement vaccinés des mois avant le grand public… Seule personnalité ayant relayé une vidéo de sa séance de vaccination : le Dr Zhang Wenhong, expert shanghaien apprécié pour son franc-parler.
Lorsque les incitatifs ne suffisent pas, certaines localités sont prêtes à sanctionner les éléments récalcitrants à la vaccination. À Wanning sur l’île-province de Hainan, les autorités les ont menacés de leur interdire l’accès à certains lieux publics et de les priver des aides du gouvernement. La sévérité des punitions promises a créé la polémique et poussé les autorités à revoir leur approche, tout en expliquant qu’elles n’ont fait que suivre les directives « venues d’en haut ».
On touche là au cœur du problème : est-ce qu’un mélange de petits incitatifs, de pression sociale et de nationalisme ambiant, suffira à maintenir – voire à accélérer – le rythme vaccinal ? L’avenir le dira. Cependant, si les efforts de vaccination stagnent, l’État pourrait être tenté d’employer les grands moyens en interdisant les voyages inter-provinciaux à toute personne non vaccinée. Pour cela, il dispose déjà de l’outil idéal : le code QR de santé. Néanmoins, une mesure si radicale risquerait d’être impopulaire et pèserait sur l’économie, alors que la consommation peine à retrouver son niveau pré-pandémique…
De la vitesse de vaccination dépendra aussi la réouverture du pays qui doit accueillir les JO d’hiver dans 300 jours. Dr Zhang Wenhong ne voit pas la Chine assouplir ses restrictions aux frontières avant le printemps 2022 – période à laquelle elle devrait avoir bâti sa grande muraille immunitaire, avec entre 70 et 80% de sa population vaccinée.
En un premier aveu public de l’efficacité moindre des vaccins inactivés chinois comparés à ceux de type ARN (Pfizer/BioNtech et Moderna) – qui ont d’ailleurs été dénigrés par plusieurs médias officiels fin 2020 – le directeur du CDC national Gao Fu a évoqué le 10 avril plusieurs pistes pour renforcer leur niveau de protection, comme d’augmenter le nombre de doses ou de mélanger les vaccins. La question de leur efficacité face aux différents variants pourrait également retarder l’ouverture du pays…
Quoi qu’il en soit, Pékin devra réévaluer sa politique actuelle de « tolérance zéro » (cas de Covid-19), la deuxième puissance économique mondiale ne pouvant rester recroquevillée sur elle-même dans la crainte du virus, alors que le reste du monde se remet à échanger. En effet, une fois que le pays aura atteint l’immunité collective, il deviendra inutile de maintenir ces mesures aux frontières pour garder le virus à distance.
Pékin devra donc opérer un virage à 180 degrés : après avoir démontré à sa population que le risque de contamination est très faible en Chine, puis incité le pays entier à se faire vacciner, le gouvernement devra expliquer à ses citoyens que la vaccination n’empêche pas de contracter la Covid-19, seulement d’éviter des réactions les plus graves, et qu’il faudra donc apprendre à vivre avec. À ce jour néanmoins, très peu de signes laissent entrevoir que le gouvernement envisage déjà ce scénario inévitable, Pékin étant sûrement plus à l’aise dans le contrôle que dans le lâcher-prise.
1 Commentaire
severy
12 avril 2021 à 15:25Excellent article.