Célébré en mars, le centenaire du Mouvement Travail-Etude (MTE) commémora l’histoire des 2000 Chinois envoyés en France étudier et travailler dans les usines françaises, dans les années 20, parmi lesquels des hommes, tels Zhou Enlai ou Deng Xiaoping. Le médecin qui auscultait ces futurs leaders était Jean Jérôme Augustin Bussière, officier de marine, en poste à Pékin, arrivé en Chine en 1913. Jusqu’en 1954, le Dr Bussière allait soigner les Chinois riches et pauvres, former des générations de médecins aux universités de Pékin (Beida), de Shanghai (Université « Aurore »), et administrer des hôpitaux, tel celui de Beihang (Saint Michel).
Grand intellectuel, Bussière tenait salon. Durant les années ’20 à ‘40, il convia l’élite sino-étrangère en sa résidence près de Wangfujing et sur les collines de Yangtai au Nord-Ouest de Pékin. Parmi ses habitués comptèrent des écrivains tels Victor Segalen ou Saint-John-Perse, 3ème secrétaire à la Légation, qui obtiendrait en 1960 le prix Nobel de littérature, et des lettrés comme Wu Zhihui ou Li Shizeng, fondateur francophile du Mouvement Travail-Etude. Longtemps à l’abandon, le domaine de Yangtai fut sauvé en 2013 par la volonté d’un Etat chinois reconnaissant à titre posthume l’œuvre du médecin. Désigné « Base sino-française d’échanges culturels », il est restauré dans sa gloire d’antan, ouvert au public sous le nom de « Jardin Bussière (贝家花园) ». Il abrite une exposition permanente consacrée à sa vie de « patriote et de héros chinois ».
En effet, en 1937 quand éclata la guerre sino-japonaise, la vie changea du tout au tout, se chargeant de dangers. Le Dr Bussière prit parti sans hésiter contre l’occupant. Il soigna clandestinement, voire hébergea les résistants (communistes comme nationalistes), traversa les lignes avec sa voiture, puis (quand le carburant disparut ) à vélo, portant aux combattants le ravitaillement médical fourni par son dispensaire. Il transborda même des postes de radio à galène, ce qui, si découvert, lui eût valu l’exécution sommaire.
Après 1949, pour Bussière comme pour la totalité des étrangers, la prise de pouvoir par Mao sonna l’heure de l’expulsion. Parmi les objets exposés à Yangtai compte une lettre à Zhou Enlai, son ancien « patient », le priant de lui octroyer le droit de mourir sur terre chinoise. Mais quoique favorable à sa requête, Zhou ne put rien faire – Mao voulait faire place nette. A 82 ans, Bussière dut embarquer avec sa jeune épouse chinoise, 30 dollars en poche, devant laisser ses effets personnels en Chine. Il devait décéder quatre années plus tard, non sans avoir engendré un dernier fils… Fin romanesque, mais heureuse, pour un personnage phare dans l’histoire entre les deux pays !
1 Commentaire
gwenolalemoine
6 avril 2019 à 16:36Très intéressant ! Est-ce qu’on ne retrouve pas ce médecin parmi les personnages du roman de Pierre-Jean Rémy, « Le Sac du Palais d’Eté » ?