Dès le deuxième jour de son entrée à l’école privée Xinhua de Zhaotong, les agents de l’hygiène débarquèrent, anxieux de vérifier le lieu de vie de cet enfant, tout juste nommé « ambassadeur de l’éducation et de la lutte contre la pauvreté » – la lutte contre la pauvreté étant le cheval de bataille du Président Xi Jinping.
Pour l’établissement, la visite se solda par une amende salée, suite à la découverte d’une gamelle mal récurée et de plusieurs vieux matelas. Et l’école fut contrainte à remplacer la literie séance tenante. Pendant ce temps, des inspecteurs épluchaient les programmes, pour vérifier leur conformité.
Comme un essaim de sauterelles, les journalistes affluèrent de Pékin, Shanghai et d’ailleurs, avec micros et caméras, s’invitant sans manières dans les classes en plein cours.
Le coup de grâce ne tarda pas à venir des parents, qui déboulèrent pour tempêter : pourquoi devaient-ils verser des frais d’écolage pour financer l’éducation d’enfants issus de classes plus pauvres ? Faisant front, ils donnèrent un ultimatum au malheureux directeur Yang : soit Xinhua renonçait à utiliser le moindre yuan pour soutenir ce fils de paysan, soit ils inscriraient leurs rejetons ailleurs ! Après tout, les pensionnats ne manquaient pas dans la province…
Or la présence de reporters dans les couloirs aggravait la situation de M. Yang qui s’arrachait les cheveux, pensant à la mauvaise réputation que cette fâcheuse affaire allait faire à son école.
Face à ces nuages noirs qui s’accumulaient, le directeur Yang tint bon huit jours, pas un de plus. En effet, fin février, Fuman fut convoqué à son bureau, où il retrouva son père bouleversé. Le regard dans ses chaussures et pas vraiment fier de lui, Yang expliqua à Fuman qu’il devait quitter l’école. « Ce n’est pas de ta faute, bredouilla-t-il, mais il n’y a pas d’alternative ». Au jeune père, il remit une liasse de 15.000 ¥ pour qu’il parte sans faire d’histoires. Par la porte de derrière (contournant les hordes de parents et de reporters à l’affût), il les conduisit au taxi commandé, direction la gare routière, vers le bus pour Zhuanshanbao, leur village de montagne. Une fois Fuman dehors, proviseur et professeurs poussèrent un « ouf » de soulagement. Aux derniers journalistes qui s’attardaient, il put signifier, avec grand sourire, qu’il n’y avait plus rien à voir…
Yang jouait le rôle du traître, mais il faut reconnaître que sa position était tout sauf simple : admettre gratuitement un fils de pauvre dans une école privée, c’était compromettre un ordre social, qui n’entendait pas se laisser faire ! La majorité des riches n’étaient pas prêts à écouter les grands discours humanistes de partage des richesses et d’instruction.
Les villages crevant la faim, il y en avait partout en Chine, et pas qu’à Zhuanshanbao. Dans le seul Yunnan, 81 autres communes étaient répertoriées comme extrêmement pauvres. Et Fuman était loin d’être l’écolier plus à plaindre, certains de ses camarades devaient marcher 2 fois plus que lui, pour se rendre à l’école, (soit 3 heures), et d’autres n’y allaient même plus, faute de pouvoir se nourrir… Donner de l’argent à tous ces pauvres, qui l’étaient depuis toujours, ne servirait à rien, c’était comme « rogner le pied pour le faire tenir dans la chaussure » (削足适履 – xuè zú shì lǚ ).
L’élan de solidarité autour de l’enfant-glace avait été un spectacle édifiant sur le grand cœur du peuple chinois, mais l’emballement médiatique commençait à retomber.
D’ailleurs, la compagnie d’Etat, qui avait promis à au père de Fuman un emploi dans le bâtiment à Zhaotong, plus près des siens, à 200 yuans par jour, ne l’avait toujours pas rappelé—il n’y avait pas de boulot pour lui pour l’instant ! De même, la nouvelle du petit Fuman, renvoyé de son école privée, passa elle, largement inaperçue dans les médias…
Pourtant, de retour au village, des étoiles encore plein les yeux, personne ne pourra enlever à Fuman ses souvenirs des lumières de Pékin, où il fut invité pour trois jours par le bureau de la Propagande, avec son père et sa sœur, à grand renfort de publicité.
Grâce à cette aventure, il a découvert un monde de tous les possibles, et à quoi ressemble une vraie école, une instruction sérieuse, de celles qui vous lancent dans l’existence. Il a aussi vite appris le pouvoir viral de l’internet. Son nom restera gravé dans les mémoires, et qui sait s’il refera parler de lui si le destin lui en donne encore l’occasion ?
1 Commentaire
severy
14 avril 2018 à 23:13Il ne lui reste plus qu’à mourir de froid sur la route de l’école à côté d’un petit tas d’allumettes brûlées.
Cela ferait un beau conte de Chine populaire…