Le Vent de la Chine Numéro 14 (2018)
La roue du destin s’emballe pour Sun Zhengcai, l’ex-étoile montante. Jusqu’en juillet 2017, à 53 ans il était Secrétaire du Parti à Chongqing, 33 millions d’âmes. Au Bureau Politique, il était un des deux à pouvoir espérer succéder à Xi Jinping en 2022. Mis sous enquête par la CCID, il était accusé « de mener une vie dissolue, de corruption, divulgation de secrets d’Etat, et d’avoir comploté pour prendre le pouvoir ». Le 12 avril, il se retrouvait devant le Tribunal intermédiaire n°1 de Tianjin pour corruption seulement. Face aux juges, Sun a fait veule contrition, avouant avoir touché 27 millions de $ en abusant de son pouvoir depuis 2002. Une lourde peine l’attend – la perpétuité peut-être, tout comme Ling Jihua l’ex-bras de droit de Hu Jintao (qui avait empoché 11,6 millions de $) ou encore Bo Xilai et Zhou Yongkang, membres de la faction de Jiang Zemin, le rival du Président Xi Jinping…
Un autre procès se profilerait d’ici fin juin, celui de Xiao Jianhua, milliardaire chinois naturalisé hongkongais et canadien, kidnappé en janvier 2017 dans un hôtel de luxe à Hong Kong, et disparu depuis sur sol chinois. Bien connecté, Xiao savait bien des choses sur bon nombre de membres de la nomenklatura. Les charges sont inconnues, mais la sentence devrait être plus légère que pour Wu Xiaohui, le patron de Anbang, Xiao ayant coopéré avec les autorités et dénoncé des « grands crocodiles » (大鳄鱼) oligarques, contre lesquels Xi dirige ses foudres.
La tension avec les Etats-Unis donne aux flottes des deux pays l’occasion de sorties en mer, pour montrer leurs muscles et leurs équipements. Côté américain, le porte-avions USS Théodore Roosevelt cinglait le 10 avril de sa base hawaïenne vers les Philippines, via la mer de Chine du Sud (revendiquée par Pékin), accompagné de sa flotte de soutien aéronaval Carrier Strike Group 9, ses chasseurs bombardiers F-18 aéroportés, ses sous-marins et ses croiseurs. La presse internationale, officiers philippins et taiwanais se trouvaient à bord.
Mais la Chine n’était pas en reste : entouré de 48 croiseurs, corvettes, frégates et sous-marins, le porte-avions Liaoning paradait au large de Hainan (11-13 avril) sous les yeux du chef des armées Xi Jinping en tenue de combat, à bord du destroyer CNS Changsha – un des fleurons de cette flotte toute neuve (50 des navires sont postérieurs à 2012) – qui poursuivait par trois jours d’exercices, dont la devise aurait pu être « qui s’y frotte, s’y pique » !
Au même moment, l’archipel mélanésien de Vanuatu et la Chine démentaient le 10 avril, que cette dernière soit sur le point d’y installer une base militaire. Pour autant, la Chine a réalisé de nombreux projets d’équipements au Vanuatu, aujourd’hui lourdement endetté. L’Australie a donné l’alarme : et si l’archipel ne pouvait plus rembourser, serait-il en mesure de refuser sur son sol une base chinoise, une station-relais pour les échanges avec les fusées spatiales chinoises ? On n’en est pas là—mais Canberra montre sa nervosité, face à ces îles à 1750 km de ses côtes.
Alors que la lune de miel se poursuit entre Chine et Philippines avec la visite de R. Duterte à Boao, la tension monte entre Chine et Inde, à quelques semaines de la visite du Premier Ministre N. Modi à Qingdao en juin, au sommet « SCO » de coopération sécuritaire. En cause : l’Etat indien d’Arunachal, que la Chine appelle « Sud-Tibet » et revendique. Entre 5000 et 6000m d’altitude, sur des centaines de km, une frontière malaisée a été établie (la « Line of Actual Control »), mais les incidents sont incessants. La Chine accuse l’armée indienne d’avoir endommagé son matériel – l’Inde dément. Ainsi visites et conférences se multiplient entre les deux pays pour tenter de renforcer ce qui fait le plus défaut—la confiance… A l’évidence, ces deux géants ne trouveront pas la stabilité nécessaire à leur coopération, sans avoir d’abord épuré ce contentieux territorial.
Magistralement calibré, ce discours du Président Xi Jinping lors du Forum de Boao (le « Davos » chinois), le 10 avril ! Donald Trump venait de le défier par une rafale de tweets, soutenus par une panoplie de menaces de sanctions commerciales —la Chine pouvant perdre 150 milliards de dollars de marché à l’export. La réponse de Xi était attendue par les capitales et les investisseurs, comme le marqueur n°1 du climat international des semaines à venir.
Or, face à un parterre d’hôtes industriels et politiques, un Xi tout sourire s’employa deux heures durant à calmer le jeu, multipliant positions de principe et promesses : « la porte chinoise s’ouvrira toujours plus », réitéra-t-il, « la Chine n’a nul désir de maltraiter ses voisins ».
La plupart des observateurs relevaient dans cette profession de foi l’absence de détails, dates et chiffres, voire de tout engagement réellement nouveau. Ce qui n’empêchait pas Trump de remercier « très sincèrement » Xi, tout en affichant sa confiance dans la capacité des deux parties à trouver à terme un modus vivendi.
On voyait même aux USA le lendemain, le media Conservative Tribune trompéter une « victoire » aux accents cocardiers : Xi avait « lâché prise, cédant à Trump des concessions commerciales massives ». Le ton était si triomphaliste que Pékin le lendemain, se sentait obligé d’opposer un démenti.
Tout en restant soigneusement dans les généralités, Xi promettait à l’intention des firmes étrangères un bureau de protection de la propriété intellectuelle et une série de mesures d’amélioration du climat d’investissement, de l’accès au marché et de « l’environnement de travail » en Chine. La promesse la plus saillante visait les groupes mondiaux automobiles, promettant d’abaisser « significativement » leurs droits de douane et de déréguler l’obligation prévalente d’association en JV avec un groupe chinois, limitée à 50% pour le partenaire étranger.
Le 11 avril, Yi Gang, gouverneur de la Banque Centrale, compléta les pointillés du discours : à compter de juin, tous les constructeurs automobiles mondiaux pourraient porter à 51% leur participation dans leurs JV. Le train de mesures semblait à l’avantage du groupe Tesla d’Elon Musk, à l’avant-garde de la filière voitures électriques dont Pékin veut accélérer l’entrée dans les mœurs.
Surtout, les investisseurs étrangers pourraient détenir 51% de maisons de courtage, de marchés à terme et de fonds d’investissements, puis 100% dès 2021. La Chine semble ainsi prête à inviter la finance mondiale à investir directement dans des activités tels le leasing, le crédit automobile ou à la consommation. Ce faisant, elle lui ouvre une part de son marché financier, jusqu’alors chasse gardée des groupes locaux, surtout publics.
Yi Gang réfuta aussi la rumeur prêtant à son administration l’envie de dévaluer le yuan, afin d’estomper les effets des éventuelles taxes de Trump. Selon Yi Gang, la Chine n’y pense pas, car l’action risquerait de ranimer l’envie des financiers chinois de faire sortir leurs fonds du pays, rendant ainsi cette option une arme à double tranchant. Inutile de le dire, une dévaluation chinoise plongerait le pays dans une vraie guerre commerciale avec l’Amérique.
Dans ce climat incertain, Jack Ma, fondateur d’Alibaba eut des mots de chef d’Etat à Boao, en avertissant qu’une telle guerre le forcerait à renoncer à une promesse faite directement à Trump : celle de créer « un million d’emplois » aux Etats-Unis, voire même « 20 millions pour les deux pays ». Au contraire, s’exclama Ma, un conflit en « détruirait 20 millions de part et d’autre ». L’homme d’affaires se montra persuadé qu’au cours des 20 prochaines années, la Chine allait se mettre à consommer et à importer en grand, offrant ainsi de belles opportunités aux PME comme aux grands groupes américains de se renforcer, tandis que le gouvernement US verrait sa balance commerciale se rééquilibrer.
Dans ce conflit commercial, l’Union Européenne aussi est partie prenante : Bruxelles et la majorité des Etats membres de l’UE partagent l’impatience de Trump, quant aux pratiques commerciales inéquitables de la Chine et l’absence de réciprocité sur son propre sol de toutes les facilités dont jouissent les entreprises chinoises sur les marchés des pays occidentaux. Par contre, France et Allemagne en particulier, cherchent à détourner Trump des manœuvres va-t-en-guerre pour régler le conflit à travers les structures légales de l’OMC. A cet effet, Emmanuel Macron est attendu du 23 au 25 avril par Donald Trump en Virginie au Mount Vernon et à Washington—tandis qu’une visite d’Angela Merkel est en discussion. De l’avis général, les chances des Européens à faire plier Trump, sont faibles. Pour autant, de façon très claire, Xi Jinping comme Trump, tentent de rallier les Européens à leurs analyses et à leur solution préconisée.
On comprend pourquoi : l’Amérique du Nord et l’Europe ne sont pas les seules à ressentir l’effet de 20 ans d’expansion industrielle et commerciale chinoise « à la hussarde », ni à avoir perdu dans l’aventure des millions d’emplois, de filières exportatrices, de savoir-faire. Sur les cinq continents, bien des pays approuvent in petto la croisade de Trump pour forcer la Chine à un rééquilibrage des échanges, une réciprocité. Si l’Europe, France et Allemagne en tête, décident d’appuyer Trump, la Chine risquerait de se retrouver vite mondialement isolée, ce qu’elle veut absolument éviter.
Entre Chine et Etats-Unis, pour l’instant, c’est le statu quo qui s’achèvera dans deux mois, à l’issue des « consultations » prévues par Washington. Alors, sonnera l’heure des choix—pour tout le monde.
Dans son dernier rapport « Chine 2020 », la Banque Mondiale félicite le régime socialiste d’avoir arraché à la misère des millions de pauvres. Mais elle le met aussi en garde contre l’écart croissant de revenus entre villes et campagnes. Fin 2017, les villes accueillaient 813 millions d’habitants, 58% de la population. Parmi eux, 101 millions étaient montés de la campagne durant les 6 dernières années. Ils étaient attirés par un revenu urbain à 33.834 ¥, triple de celui rural (13.432 ¥). Un tel chiffre incite Han Changfu, ministre de l’Agriculture, à tirer le signal d’alarme au Forum de Boao (Hainan) le 10 avril : « pour revitaliser le milieu rural, il faudra des moyens extraordinaires ».
Toujours selon la Banque Mondiale, 493 millions de Chinois (36%) vivent avec moins de 35¥ par jour… Depuis son arrivée au pouvoir, Xi Jinping a promis de combattre l’extrême pauvreté (moins de 3000¥ de revenus par an), de tirer 10 millions de personnes par an de la misère, avec l’objectif en 2020 d’une société parvenue à la « xiaokang » (小康, petite prospérité). Ceci peut être une des raisons non déclarées de la campagne en cours pour forcer les métropoles à réduire leur population, en éloignant de force des millions de Chinois ex-ruraux, dits du « bas niveau ».
Pour lutter contre la pauvreté, le gouvernement compte sur les géants de l’internet, fer de lance de l’économie –tel Ant Financial, filiale d’Alibaba aux 150 milliards de $ de capitalisation, ou Tencent, 1er groupe chinois, évalué à 580 milliards de $.
En décembre 2017 durant la Conférence mondiale de l’Internet à Wuzhen (Zhejiang), ces groupes furent invités à fournir un accès au web à 13 préfectures parmi les plus pauvres, et à leur apprendre à y trouver leur chance de développement. Quelques jours avant Jack Ma, PDG d’Alibaba, annonçait la création d’un fonds de lutte contre la pauvreté, doté de 1,51 milliard de $, fournissant notamment aux agriculteurs des solutions agronomiques et du crédit. Ancien professeur, convaincu de l’urgence de combattre la pauvreté par l’instruction, l’homme d’affaire anime aussi des projets éducatifs via sa Fondation Jack Ma, sous forme de bourses de formation d’instituteurs et de formation continue de directeurs, assorties de projets pédagogiques pour leurs écoles. Dernièrement, Ma proposait à ses partenaires d’affaires de soutenir un réseau régional d’internats pour enfants de villages isolés, et de navettes pour les ramener chez eux le week-end.
Autre outil anti-pauvreté de Jack Ma : les « villages Taobao », dans lesquels se sont ouvertes au moins 100 e-boutiques sur cette plateforme, et vendant pour plus de 10 millions de ¥ par an. À 2,8 emplois par boutique en moyenne, ces villages Taobao font vivre 1,3 million de personnes. Elles seraient 3 millions dans 5500 villages, d’ici 2020.
En ville aussi, la livraison de repas fait vivre les plus modestes. Le seul Ele.me, racheté par Alibaba le 1 avril, emploie 3 millions de livreurs (13 milliards de repas par an, 48% du marché). Dianping, de Tencent, n’est pas loin derrière (43%)…
L’Etat lui-même porte l’essentiel de l’effort dans les zones les plus pauvres, reculées ou enclavées. Il crée infrastructures, logements sociaux, tourisme rural, accès à l’eau, à l’électricité, aux transports. En 2018, le budget augmente de 20%, à 16,8 milliards de $. Mais le succès est compromis par la fraude universelle des cadres. En mars, le ministre des Finances admettait que 112 millions de $ avaient été détournés en 2017. À Huayuan (Hunan) en juillet 2017, 7 des 10 millions de ¥ de budget anti-pauvreté ont été siphonnés. A Hualong (Qinghai), 232 familles de cadres furent « relogées » en résidences de standing…sauf qu’elles n’étaient pas pauvres !
Tian Qizhuang, chroniqueur indépendant, explique le phénomène par l’absence de contrôle (de la presse comme de la justice) sur l’administration. Après 5 ans de campagne anti-corruption, le bilan de telle gabegie, inquiétant pour l’avenir, jette un doute sur l’efficacité de ce programme de moralisation des cadres.
Le régime, en tout cas, est arrivé à une conclusion pratique : la réduction des fraudes, passe par celle des budgets des provinces. La technique n°1 passe par un écrémage des projets « PPP » (« publics-privés »). Lancé à grande fanfare en 2017 pour attirer l’épargne privée, sous prétexte de « privatiser » les services publics, ces PPP avaient pour fonction réelle de financer des projets douteux, non viables des leaders locaux – moyen d’entretenir leur train de vie. Selon Caixin, le ministère des Finances vient de les « convaincre » de retirer 2334 PPP, d’une valeur de 2550 milliards de ¥ (405 milliards de $). Les deux tiers concernaient 5 provinces du Nord et de l’Ouest – Xinjiang, Yunnan, Mongolie Intérieure, Gansu et Ningxia. Cinq territoires parmi les plus pauvres, mais aussi les plus éloignées des contrôles centraux. Dans cette localisation des PPP « bidons » dans le grand Ouest, n’entre aucun hasard : « le ciel est haut et l’empereur est loin » (天高皇帝远, tiān gāo huáng dì yuǎn ).
Dans le même ordre d’idée, mais face à une fraude différente, le Conseil d’Etat lance le 9 avril un plan sur 5 ans pour bâtir une base de données financière nationale tournée vers les produits financiers multi-secteurs (banque-assurance et bourse) et les grandes entreprises, y compris les holdings. Il s’agit pour les deux tutelles sectorielles de comprendre les montages financiers, les collusions, les vides juridiques utilisés. Pékin veut se donner les moyens d’intervenir en temps réel – et ainsi d’éviter les évasions fiscales. Tout en dégageant des recettes nouvelles pour la lutte anti-pauvreté, et en affinant le système de taxation au passage.
La Chine, en gestion du territoire, ne manque ni d’audace, ni d’idées, comme en témoignent ces innovants projets entre agronomie et énergie :
– Le célèbre agronome Yuan Longping, 87 ans, lance un projet de culture de riz en terres saumâtres –sols à salinité réduite, normalement incultivables. Après 20 années de recherche, 176 souches hybrides résistantes à l’alcali et au sel, à haut rendement, sont en cours de test dans le delta du Fleuve Jaune, au Xinjiang et dans les provinces du Nord-Est (Dongbei). En cas de succès, ce riz hybride pourrait être planté sur 20 millions d’hectares (sur 100 millions d’hectares de terres salines-alcalines), libérant des terres rizicoles pour d’autres cultures…
– Sur les pentes du plateau tibétain à 5000m d’altitude, 500 fours ont été installés pour brûler en permanence un combustible solide et en tirer l’iodure d’argent, de structure cristalline proche de la glace. La chaleur et les vents envoient cette iodure dans l’air, générant pluie ou neige artificielle. A l’origine du projet, la CASTC, affirme que chaque four génère des nuages sur 5 km. Cette corporation militaire veut déployer des dizaines de milliers de ces brûleurs sur 1,6 million de km² (trois Espagne), et causer 10 milliards de m3/an de pluie artificielle, +7%. La combustion des fours sera assistée par ordinateur, à l’aide des données météo de 30 satellites postés au dessus de l’Océan Indien. L’opération serait viable, moins chère que d’autres interventions par avion ou canon : chaque four coûte 50.000¥ – et les prix vont baisser avec la production en série. Néanmoins, nulle donnée n’a été dévoilée sur les risques pour l’environnement suite à l’altération artificielle du climat, ni sur les conséquences pour les fleuves issus du Tibet, vitaux pour des centaines de millions de paysans des pays en aval, Inde, Laos ou Birmanie…
– Suite à un hiver rude où la Chine s’est trouvée à court de gaz naturel, faute de capacités de stockage suffisantes, PetroChina se met à injecter dans 25 gisements vides de la région de Chongqing, un méthane acheminé par gazoduc du Turkménistan et de Birmanie (entre autres). Wood Mackenzie estime les importations en 2018 à 48-49 millions de tonnes (+25%). D’ici 5 à 8 ans, PetroChina et d’autres groupes, avec le soutien de l’Etat, vont dépenser plus de 10 milliards de $ dans le doublement des capacités chinoises de stockage souterraines. Pour pallier l’inexpérience du pays dans ces techniques de pointe, une assistance de groupes experts tels Gazprom (Russie) ou Geostock (France), est probable.
Le 4 avril, l’hôpital universitaire n°3 de Pékin publiait un curieux appel à don de sperme, qui dérivait sérieusement des normes en vigueur. Les donneurs recevraient, pour 10 prélèvements étalés sur 6 mois, une « prime » pouvant atteindre 5500 ¥, mais surtout, ils devaient prouver une loyauté sans faille envers le Parti, et « la plus haute qualité idéologique… aimer passionnément la patrie et le socialisme, et adhérer aux normes de méritocratie… de talent et de moralité » !
A peine publiée, l’annonce déchaîna une tornade d’hilarité à travers le pays, inspirant nombre de quolibets sur les réseaux sociaux – démontrant que l’humour et le bon sens de cette société résiste au matraquage idéologique. Il posa aussi un débat de fond et nombre de bonnes questions, telle celle de Melle Shao, infirmière au Hunan : « certes, l’ADN se transmet de parents à enfant… mais comment peut-on léguer génétiquement idéologie ou patriotisme ? C’est très étrange » ! La question sous-jacente est celle de l’eugénisme, une théorie qui avait été à l’honneur dans l’Allemagne des années ‘30. L’hôpital n°3 de Pékin semblait désireux d’implanter, en ses clientes en attente d’enfant, « une disposition d’esprit ». Or on sait bien que cela ne se transmet que par l’éducation. « C’est un concept raciste, en porte-à-faux avec le progrès de l’humanité », trancha depuis Hong Kong, A-Ping, artiste graphique.
Pourtant, la demande de l’hôpital n°3 est bien réelle et urgente. Depuis 2016, l’Etat permet deux enfants par couple, espérant 30 millions de bébés en plus, d’ici 2050 afin d’abaisser de 2 ans la pyramide des âges. Mais les maris, souffrant de stress et de pollution, ont vu leur fertilité reculer de 12,5% de 1980 à 2010, selon la dernière estimation publique. La demande en fécondation in vitro a donc explosé, et vu la rareté des donneurs (dont 80% sont écartés lors des tests), la liste d’attente s’étire à plus d’un an, forçant les couples les plus fortunés à aller acheter le service, à prix d’or à l’étranger.
Pourquoi avoir accolé à son appel à don de sperme, une exigence politique aussi maladroite ? L’hôpital a pu vouloir se protéger d’un tollé du public, par une attitude idéologiquement impeccable, face à une demande touchant à la sexualité, un sujet très sensible en Chine.
Suite au concert de lazzis et réactions critiques, l’hôpital en 48 heures, effaça discrètement de son offre la condition idéologique—les candidats devaient seulement faire preuve d’un esprit « comme il faut, décent, légal, aimant et charitable ». Puis tout rentra dans l’ordre, prouvant qu’en Chine comme ailleurs, le ridicule ne tue pas.
Dès le deuxième jour de son entrée à l’école privée Xinhua de Zhaotong, les agents de l’hygiène débarquèrent, anxieux de vérifier le lieu de vie de cet enfant, tout juste nommé « ambassadeur de l’éducation et de la lutte contre la pauvreté » – la lutte contre la pauvreté étant le cheval de bataille du Président Xi Jinping.
Pour l’établissement, la visite se solda par une amende salée, suite à la découverte d’une gamelle mal récurée et de plusieurs vieux matelas. Et l’école fut contrainte à remplacer la literie séance tenante. Pendant ce temps, des inspecteurs épluchaient les programmes, pour vérifier leur conformité.
Comme un essaim de sauterelles, les journalistes affluèrent de Pékin, Shanghai et d’ailleurs, avec micros et caméras, s’invitant sans manières dans les classes en plein cours.
Le coup de grâce ne tarda pas à venir des parents, qui déboulèrent pour tempêter : pourquoi devaient-ils verser des frais d’écolage pour financer l’éducation d’enfants issus de classes plus pauvres ? Faisant front, ils donnèrent un ultimatum au malheureux directeur Yang : soit Xinhua renonçait à utiliser le moindre yuan pour soutenir ce fils de paysan, soit ils inscriraient leurs rejetons ailleurs ! Après tout, les pensionnats ne manquaient pas dans la province…
Or la présence de reporters dans les couloirs aggravait la situation de M. Yang qui s’arrachait les cheveux, pensant à la mauvaise réputation que cette fâcheuse affaire allait faire à son école.
Face à ces nuages noirs qui s’accumulaient, le directeur Yang tint bon huit jours, pas un de plus. En effet, fin février, Fuman fut convoqué à son bureau, où il retrouva son père bouleversé. Le regard dans ses chaussures et pas vraiment fier de lui, Yang expliqua à Fuman qu’il devait quitter l’école. « Ce n’est pas de ta faute, bredouilla-t-il, mais il n’y a pas d’alternative ». Au jeune père, il remit une liasse de 15.000 ¥ pour qu’il parte sans faire d’histoires. Par la porte de derrière (contournant les hordes de parents et de reporters à l’affût), il les conduisit au taxi commandé, direction la gare routière, vers le bus pour Zhuanshanbao, leur village de montagne. Une fois Fuman dehors, proviseur et professeurs poussèrent un « ouf » de soulagement. Aux derniers journalistes qui s’attardaient, il put signifier, avec grand sourire, qu’il n’y avait plus rien à voir…
Yang jouait le rôle du traître, mais il faut reconnaître que sa position était tout sauf simple : admettre gratuitement un fils de pauvre dans une école privée, c’était compromettre un ordre social, qui n’entendait pas se laisser faire ! La majorité des riches n’étaient pas prêts à écouter les grands discours humanistes de partage des richesses et d’instruction.
Les villages crevant la faim, il y en avait partout en Chine, et pas qu’à Zhuanshanbao. Dans le seul Yunnan, 81 autres communes étaient répertoriées comme extrêmement pauvres. Et Fuman était loin d’être l’écolier plus à plaindre, certains de ses camarades devaient marcher 2 fois plus que lui, pour se rendre à l’école, (soit 3 heures), et d’autres n’y allaient même plus, faute de pouvoir se nourrir… Donner de l’argent à tous ces pauvres, qui l’étaient depuis toujours, ne servirait à rien, c’était comme « rogner le pied pour le faire tenir dans la chaussure » (削足适履 – xuè zú shì lǚ ).
L’élan de solidarité autour de l’enfant-glace avait été un spectacle édifiant sur le grand cœur du peuple chinois, mais l’emballement médiatique commençait à retomber.
D’ailleurs, la compagnie d’Etat, qui avait promis à au père de Fuman un emploi dans le bâtiment à Zhaotong, plus près des siens, à 200 yuans par jour, ne l’avait toujours pas rappelé—il n’y avait pas de boulot pour lui pour l’instant ! De même, la nouvelle du petit Fuman, renvoyé de son école privée, passa elle, largement inaperçue dans les médias…
Pourtant, de retour au village, des étoiles encore plein les yeux, personne ne pourra enlever à Fuman ses souvenirs des lumières de Pékin, où il fut invité pour trois jours par le bureau de la Propagande, avec son père et sa sœur, à grand renfort de publicité.
Grâce à cette aventure, il a découvert un monde de tous les possibles, et à quoi ressemble une vraie école, une instruction sérieuse, de celles qui vous lancent dans l’existence. Il a aussi vite appris le pouvoir viral de l’internet. Son nom restera gravé dans les mémoires, et qui sait s’il refera parler de lui si le destin lui en donne encore l’occasion ?
15-22 avril, Beijing Huairou, Yanqi Lake : Festival International du cinéma, avec la présence de Isabelle Huppert à la cérémonie de clôture du Festival
15-19 avril, Canton : Foire internationale de Canton
17-19 avril, Shanghai : ABACE, Salon international des produits et services pour l’aviation en Asie
19-22 avril, Pékin : CHINA GLASS, Salon chinois des techniques industrielles du verre
20-22 avril, Harbin : WORLD DAIRY SUMMIT CHINA, Salon des produits frais
20-22 avril, Shanghai : ASIA GOLF Show, Salon international de l’industrie du golf
20-22 avril, Xi’an : CNHE, Salon international des équipements de chauffage et d’air conditionné
20-22 avril, Xiamen, China International Fisheries Expo, Salon international de la pêche, et des produits de la mer en Chine
21-23 avril, Pékin : CISILE, Salon des instruments scientifiques et des équipements de laboratoire