Petit Peuple : Cangzhou (Hebei) – La reine octogénaire du live streaming (2ème partie)

Résumé de la 1ère Partie : Un hasard de la vie fait qu’à 81 ans, Qiu Zhizhen, retraitée du bureau de l’électricité de Cangzhou (Hebei), rencontre un succès national inopiné comme star du live-streaming !

Après sa première apparition en mai 2016 qui fit un tabac internet, avec 32.000 spectateurs online et des centaines de milliers d’autres les jours suivants, Qiu Zhizhen a organisé pour ses fidèles followers, deux rendez-vous par jour, à 8h30 du matin et du soir. 
Ses émissions du matin, elle les dédie aux souvenirs d’enfance ou d’hier, enrichis des images de la nuit arrachées à ses rêves. Celles du soir, elle les consacre aux nouvelles du quartier, à son dialogue avec la petite caissière de supérette, au garçon dans le bus qui s’est levé pour lui céder sa place quand dix autres restaient tête baissée, regards scotchés à leurs écrans de smartphones… Autant de clins d’œil et d’anecdotes racontées avec pétulance et bonne humeur.
Une partie de l’émission consiste à répondre aux questions défilant en bas de l’écran. Chaque jour, Mamie Zhizhen calme les jalousies, explique comment redonner appétit au bébé qui pleure parce qu’il fait ses dents. Elle conseille ceux ou celles qui redoutent le mariage. Elle explique l’incivisme sur la voie publique…

Lors d’un live souvent réécouté depuis, Zhizhen raconte comment son mari et elle se rencontrèrent, et quel choix délicat lui revint à l’époque. Son père et sa mère lui cherchaient un mari – elle n’avait que 15 ans à l’époque ! Mais ses parents s’inquiétaient à juste titre de cette Révolution de 49 qui avançait comme un géant aveugle, brisant tout sur son passage – les mœurs comme les hommes. Avec un bon mari, pensaient-ils, Zhizhen aurait plus de chances de survivre. Aussi, en 1951, une entremetteuse lui avait-elle présenté la photo d’un garçon de 20 ans, fils de propriétaire terrien qui s’était engagé dans l’Armée Populaire de Libération pour échapper à l’arrestation comme « droitier ». Il avait également reçu une photo d’elle. C’est tout ce dont ils auraient droit, en guise de prise de contact.
Face à une situation aussi complexe, les deux jeunes avaient simplement obéi à leurs parents, disant « oui » à cette union, sans se laisser rebuter par son aspect abstrait et platonique. Aussi étriquée qu’elle soit, c’était la chance de bonheur qui leur était réservée, et à cette époque, bien des gens n’en avaient pas autant. Malgré leur jeune âge, ils en étaient parfaitement conscients !
Les fiançailles durèrent 7 ans, passés en échanges épistolaires, jusqu’à ce jour où le conscrit, entretemps promu lieutenant, put enfin rendre visite à sa promise, à faveur d’un climat idéologique un peu moins tendu. Il arriva donc pour la présentation formelle – il avait 27 ans, elle 21. « Malgré l’ambiance lourde de mon clan réuni au complet, se remémore Zhizhen, nous parvînmes à nous plaire ». Des noces prolétaires furent alors expédiées à la va-vite : six voisins et amis, quelques mètres de guirlandes écarlates et papiers découpés en double bonheur, un litre de vin jaune de Shaoxing, 3 poulets et une livre de porc obtenus à prix d’or, les rations de farine des deux familles, pour rouler les jiaozi… « Et l’affaire était bouclée », conclut la grand-mère esquissant un sourire, faisant ainsi rêver des dizaines de milliers de jeunes.

Zhizhen devient ainsi la confidente de jeunes adultes, entre 20 et 30 ans, perdus dans des quartiers de béton, en appartements impersonnels et exigus. Ni à l’école, ni en famille, ils ont eu l’occasion d’apprendre à dialoguer. Travaillant de trop longues heures, ils ont bien du mal à se faire de nouveaux amis. Aussi, face aux grandes étapes initiatiques de la vie – la conquête de l’autre, l’entrée en ménage, la volupté partagée – ils sont seuls, mal-préparés, sous-pression.

Zhizhen lit les questions de ces jeunes et leur répond. Quand ces derniers lui réclament une chanson, elle s’exécute toujours, tout en les désignant d’un sobriquet affectueux, « bébés » (宝宝们).Elle les fait parfois bien rire en répétant d’un ton de néophyte les derniers mots d’argot à la mode. Ils lui témoignent leur reconnaissance en lui lançant sur sa page du portail des fleurs ou ballons : cadeaux « virtuels » qui ne sont le sont pas tant que cela, puisqu’échangeables en argent réel. Or, ils sont 240.000 à suivre ses émissions – score bien plus élevé que celui de sa petite-fille Meidan qui l’avait initiée, et qui n’en est pas jalouse pour deux sous et même plutôt fière de voir son aïeule faire mieux qu’elle…

Ils seraient 325 millions entre Tibet, Mongolie, Kunming et Hainan à utiliser ce type d’applications de vidéo en direct—soit la moitié des internautes du pays, véritable phénomène de société.

Régulièrement, mamie Zhizhen rappelle le secret qui résume sa morale de vie et le secret de sa vitalité : « toujours joyeuse, jamais en colère » (xīnqíng shūchàng, yùshì bùnù), 心情舒畅 遇事不怒). Et c’est ainsi que Zhizhen s’est faite grand-mère universelle, tout en s’amusant, et en donnant un nouveau sens, le plus riche de tous, à son 4ème âge !

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