Agriculture : Le lys rouge dans la vallée

Branle-bas de combat dans le Berry, riche région agricole française où le temps s’est arrêté depuis des siècles. Douce région de George Sand et de Balzac, lequel y situait son roman « Le lys dans la vallée »…

Voilà qu’en Indre (un de ses départements), une compagnie chinoise  Hongyang achète coup sur coup trois grosses fermes, et 1700 hectares. L’endettement d’une des unités pouvait justifier la décision de vendre – mais c’est évidemment le prix faramineux offert par la partie chinoise qui a convaincu les exploitants de céder leur terre : 15.000€ à l’hectare, 23,5 millions d’euros au total, et plus du triple du cours normal. L’investisseur a agi par le truchement de sa filiale de Hong Kong, ville qui connaît mieux l’Europe, ses lois et ses pratiques. Clairement épaulé par un conseiller local, l’acheteur a joué sur une faille du droit foncier français pour imposer deux clauses insolites au contrat : les trois parcelles ont été remembrées en une « Société Agricole» (SA), dont l’acquéreur n’a repris « que » 98% des parts. De la sorte, en toute légalité, le transfert a été notifié à la Fédération Nationale des SAFER (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural), mais celle-ci a perdu son droit de préemption, qui ne s’exerçait qu’en cas de vente à 100%.

La précaution était bizarre, car inutile : aucune SAFER, et aucun acheteur français n’irait enchérir sur un tarif déjà triple du marché. Mais un tel prix a peut-être été offert afin d’assurer un transfert de propriété à bref délai, une sorte de garantie d’éviter tout problème—campagne de presse et/ou interdiction préfectorale…

Autre zone d’ombre : quel pouvait être le but de l’achat ? En effet, les nouveaux patrons restent très discrets sur le sujet. Selon un investisseur chinois international, « le renminbi est surévalué, nous sommes en marée haute monétaire avec d’énormes fonds à placer, surtout offshore ». Pour lui, ce type de plan pourrait cacher une évasion fiscale, liée ou non, à la campagne anticorruption en cours. « A un tel prix, conclut cet expert, les 1700 hectares n’ont pu en aucun cas être acquis à fins agricoles, car l’investissement n’en vaudrait pas la peine ».

Pourtant, d’un point de vue agronomique, la Chine a des besoins toujours plus forts, en terres arables, avec ses 74% de cours d’eau pollués, son terroir épuisé par les sécheresses et l’excès d’engrais, écorné de 30% autour des villes par la construction spéculative. Avec les hauts rendements de l’agriculture française, le domaine berrichon pourrait produire jusqu’à 200.000 tonnes de céréales, disponibles pour exportation vers la Chine.

Corroborant cette stratégie, une vague d’achats chinois sans précédent se développe à travers le monde. En 2013, un groupe du Xinjiang reprenait 100.000 hectares de terre en Ukraine, pour cultures fourragères et élevage. En JV avec le groupe local KSG Agro, il voulait les porter à 3 millions d’hectares sous 50 ans.
En 2014, Beidahuang, du Heilongjiang achetait 234.000 hectares en Argentine, puis 60.000 hectares au Venezuela en mars 2016.
En octobre 2014, Chongqing Grain acquérait pour 375 millions de $ de terres au Brésil, et pour 1,2 milliard de $ en Argentine. Et le 19 avril en Australie, le consortium shanghaïen Pengxin, défiant l’avis défavorable du gouvernement local, s’apprêtait à reprendre 8 millions d’hectares du groupe d’élevage Kidman.

Jusqu’à présent, on n’avait pas vu d’achats chinois significatifs de terres arables dans l’Union Européenne. Jusqu’à présent, les milliardaires chinois s’intéressaient plutôt aux châteaux bordelais, un peu par mode. À ce jour 120 châteaux ont été repris, autant pour l’édifice que pour les vignobles – le Bordeaux est une valeur sûre à la vente en Chine.

Cet achat foncier au Berry est donc une première. Elle est probablement due à la proximité de Châteauroux à 60km : sur 460 hectares de la zone industrielle d’Ozans, Eurosity, espace sino-européen implanté en 2014, se veut être une tête de pont des 200 entreprises chinoises présentes en France, de 15.000 emplois et de 7 milliards d’euros investis, dont les trois quarts sous propriété publique. Capital Land, Huawei et les ascenseurs Sanei sont présents, ainsi qu’une petite cité universitaire chinoise. Citech, écloserie de PME de 4400m², vient d’être inaugurée et accueille des projets de micro-entreprises, comme émanation de la Sino-France Economic Cooperation Zone (SFECZ). Ce pôle de fixation de capital chinois était la base idéale pour rassembler le premier terroir agricole sous contrôle chinois.

Comment cette expansion agricole chinoise va-t-elle se poursuivre en France ? Tout dépendra en fait, de l’usage qui en sera fait, et de la capacité chinoise à communiquer. Pour l’instant, l’establishment local observe avec inquiétude, tel Hervé Coupeau, président de la FDSEA,  qui note l’opacité ayant entouré l’acquisition. Tel Emmanuel Hyest, président de la FNSafer qui redoute une  explosion des prix des terres et un barrage financier à la relève de jeunes agriculteurs. E. Hyest s’inquiète aussi de l’autonomie alimentaire de l’Europe, qui importe déjà le produit de 35 millions d’hectares (équivalent) d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique Latine. Si une vague d’achats fonciers chinois en France venait à déferler, les besoins hexagonaux en produits extra-européens suivraient. Dans ce cas, un changement rapide du droit foncier par l’Etat, voire par Bruxelles, et une levée de boucliers protectionnistes, serait inéluctable. On voit d’ailleurs immédiatement, dans la presse française, des signaux prémonitoires en ce sens.

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