Portrait : Zhao Lijian, le diplomate qui tweet plus vite que son ombre

Zhao Lijian, le diplomate qui tweet plus vite que son ombre

Il serait faux de penser que Donald Trump est la personnalité la plus compulsive de la twittosphère mondiale. Outre-Pacifique, depuis son iPhone, un diplomate chinois maîtrise particulièrement bien l’art de la provocation sur le réseau social américain : Zhao Lijian (赵立坚), 47 ans, 31ème porte-parole du ministère des Affaires étrangères.

Après un premier poste au Pakistan, Zhao Lijian était envoyé en 2009 à l’ambassade de Chine à Washington, au poste de premier Secrétaire. En 2015, il revenait à ses premières amours en retournant à Islamabad, en tant que ministre-conseiller cette fois. Un poste stratégique puisque le corridor sino-pakistanais (CPEC, 62 milliards de $) est une des pierres angulaires de l’initiative chinoise BRI (Belt & Road Initiative). Zhao fut un ardeur défenseur de ce projet. En août 2019, il était promu vice-directeur du Département de l’Information à Pékin. Cette carrière fulgurante, il la doit moins à son tact diplomatique qu’à ses 58 000 tweets, au ton souvent agressif (@zlj517).

En mai 2010, il était parmi les premiers représentant de la RPC à faire ses débuts sur Twitter, plateforme inaccessible depuis la Chine sans VPN. Sa popularité décolla durant son second passage au Pakistan (2015-2019). En 140 caractères, « Mohammad » (de son nom musulman, supprimé en 2017) conseillait aux Anglais de ne pas mettre leur nez partout, et surtout pas dans les affaires chinoises au Xinjiang : « occupez-vous de votre Brexit » ! Lors des manifestations à Hong Kong, il trouvait « honteux » les appels au calme de Londres, ajoutant que « de nombreux Anglais sont des descendants de criminels de guerre ». Indéniablement, les Etats-Unis sont une de ses cibles préférées : en juillet dernier, il affirmait que le racisme solidement enraciné dans la société américaine (en prétendant que l’installation d’un noir dans un quartier de blancs faisait instantanément chuter le prix de l’immobilier) ne donnait pas le droit à Washington de critiquer la politique de Pékin au Xinjiang. Susan Rice, ex-conseillère à la Sécurité Nationale sous Obama, appela alors publiquement l’ambassadeur chinois à Washington Cui Tiankai, à renvoyer Zhao chez lui, le traitant de « disgrâce raciste ». Pékin la prenait au mot, rappelant Zhao… pour une promotion ! Lors de son départ d’Islamabad, il était salué en tant qu’« ami du Pakistan ». Zhao leur rendait bien, le Pakistan ayant « volé son cœur ».

Depuis son entrée en fonction en tant que porte-parole à Pékin, il y a un peu plus d’un mois (24 février), Zhao a déjà fait parler de lui. Il aurait déjà tweeté 500 fois, même si seulement une petite centaine peut lui être attribuée personnellement, le reste étant des retweets d’organes de presse officielle. Le nombre de ses abonnés a doublé pour arriver à un demi-million, faisant de lui une des personnalités diplomatiques les plus influentes, dépassant sa directrice Hua Chunying (280 000 abonnés, ayant seulement rejoint la plateforme en octobre 2019) et l’influent rédacteur en chef du Global Times Hu Xijin (200 000 « followers »). A ce jour, au moins 115 comptes Twitter appartiennent à des diplomates chinois.  

Parmi les abonnés de Zhao, on recense des journalistes et experts en relations internationales, mais aussi de riches Chinois, urbains, éduqués, qui savent passer de l’autre côté de la « grande muraille de feu » (10% des internautes chinois accéderaient aux réseaux sociaux étrangers). Il ne s’agit donc pas uniquement de croiser le fer avec des personnalités étrangères, ses tweets ont également pour but d’alimenter une rhétorique nationaliste auprès du public chinois et de détourner l’attention des scandales nationaux. Le fait qu’il publie si vite sans arrondir les angles, suggère qu’il a obtenu carte blanche, n’ayant pas besoin de recevoir de permissions venues d’en haut. C’est ce franc-parler qui le rend si différent des autres diplomates, dont la plupart se cantonnent à republier des commentaires officiels. 

D’ordinaire, le ton tout sauf diplomatique de ses tweets est toléré, voire encouragé par le leadership, affrontant les Américains (et plus largement les Occidentaux) sur leur propre terrain (Twitter). Mais ne serait-il pas allé trop loin en déclarant le 12 mars que des militaires américains auraient importé le virus à Wuhan, demandant à Washington des explications ? Cette théorie complotiste fut ensuite reprise par plusieurs organes de la presse officielle. Les médias chinois récupérent également à bon compte les déclarations du directeur de l’institut pharmaceutique de Milan, Giuseppe Remuzzi, affirmant que le virus circulait en Italie dès novembre… De telles attaques firent sortir le Président Trump de ses gonds, contraignant l’ambassadeur Cui Tiankai à donner une interview le 17 mars pour faire baisser la tension. « De telles spéculations sont dangereuses. Trouver l’origine du virus est une tâche qui incombe aux scientifiques, non aux diplomates » déclarait-il, en un camouflet évident à Zhao. Cui est directement nommé par le Président Xi Jinping et a rang de vice-ministre, soit deux échelons au-dessus de Zhao dans la hiérarchie politique. Quelques tweets plus tard, Zhao se radoucissait, peut-être rappelé à l’ordre par ses supérieurs… 

Suite à cette épisode, certains observateurs soulignèrent le craquement dans l’unité de façade habituellement affichée par la diplomatie chinoise. Pourtant, si Zhao avait perdu le soutien du leadership, son compte aurait probablement été supprimé, la propagande aurait censuré les rumeurs en question, ou il aurait été muté. Même si plusieurs déplorent les dommages causés par Zhao, le jeune loup n’a fait que répondre au récent appel de Xi Jinping en faisant preuve « d’un esprit combatif ». Ironiquement, grâce à ce jeu de « bon flic, mauvais flic » joué par Cui et Zhao, le Président Trump s’engageait le 24 mars à ne plus utiliser le terme de « virus chinois » (sans toutefois convaincre le secrétaire d’Etat Mike Pompeo qui persistait durant la téléconférence du G7). En effet, les objectifs des deux diplomates sont clairement contradictoires : Cui a pour devoir de garder la relation sino-américaine sur les rails, tandis que Zhao se veut le bruyant porte-parole de diverses rhétoriques propagandistes du pays. Or les deux seront forcés de coexister et de s’ajuster l’un à l’autre, car Pékin ne renoncera à aucune de ces deux stratégies.

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