Après de longues semaines de confinement, l’heure est venue pour les Chinois de s’allonger sur le divan. Psychologiquement, où en est la population ? Comment a-t-elle vécu cet enfermement inédit dans l’histoire moderne ? Certaines études et statistiques apportent un début de réponse…
La première étude à l’échelle nationale sur l’impact psychologique de l’épidémie a été conduite auprès de 52 730 personnes par le Centre pour la Santé Mentale de Shanghai, en partenariat avec l’Université Jiaotong. Publiée dans la revue spécialisée General Psychiatry, elle rapporte que le confinement a déclenché un large spectre de problèmes. Troubles paniques, anxiété et dépression sont les plus courants. Plus d’un tiers des répondants (35%) se sont retrouvés en détresse psychologique durant les 10 premiers jours de février. Sans surprise, la situation a été la plus mal vécue pour les habitants du Hubei, où la quarantaine a été la plus sévère et le système de santé mis à rude épreuve. Plusieurs groupes sociaux ont été plus sensibles que d’autres à l’enfermement : les jeunes, assaillis d’informations stressantes sur les réseaux sociaux ; les plus diplômés, probablement plus à l’écoute de leur santé ; les sexagénaires (et plus) vivant dans la peur de contracter la maladie (et d’y succomber) ; les travailleurs migrants craignant de perdre leur travail et d’être contaminés lors de leurs voyages retours ; et les femmes, généralement plus vulnérables au stress et donc davantage sujettes aux syndromes post-traumatiques.
Sans aucun doute, l’isolement a été dur à vivre, particulièrement pour les jeunes couples, ou ceux déjà à la dérive, faisant resurgir de vieux (ou de nouveaux) conflits maritaux. Vivre entassé dans un appartement 24h/24, 7h/7, avec les enfants à charge (voire les parents), les tâches ménagères à partager, le retour au travail incertain, des revenus en baisse … autant de facteurs qui ont rendu difficile pour certains conjoints de se supporter ! Ces difficultés ont conduit à une hausse des violences conjugales. A Jingmen (Hubei), celles-ci ont doublé depuis le début du confinement. Une tendance qui ne se cantonne pas uniquement à cette province, comme le démontre le hashtag #contre les violences domestiques pendant l’épidémie (#疫期反家暴), débattu au moins 3000 fois sur Weibo. Weiping, l’ONG pékinoise experte des violences conjugales, a reçu trois fois plus de demandes d’aide qu’en temps normal. Lorsque la quarantaine a pris fin, les bureaux d’état civil du pays ont enregistré une explosion des divorces. A Xi’an, après la réouverture du registre des mariages et divorces le 1ermars, les demandes étaient si nombreuses que les candidats à la séparation ont dû attendre la fin du mois que le système soit en état de traiter leur cas. « Au moins, ce temps de latence leur donne l’occasion de reconsidérer leur décision ! », commente un fonctionnaire. La ville de Dazhou (Sichuan) confirme cette tendance, en ajoutant que les jeunes couples sont les plus nombreux à vouloir se séparer.
Un autre sondage du cabinet néerlandais Glocalities auprès de 2022 Chinois entre le 23 janvier et le 13 mars, révèle un tournant dans leurs perceptions de la société. Après moins de deux semaines de confinement, les sondés ont exprimé plus de reconnaissance envers les corps de métier responsables du bon fonctionnement de la société. Cette épidémie a notamment renforcé leur confiance en les fonctionnaires(+12%, à 54%), un résultat qui peut surprendre vu la crise de légitimité subie par les autorités locales, particulièrement aiguë en début d’épidémie. En tout cas, la participation au combat anti-virus par les entreprises a été appréciée (+15%, à 70%). En témoigne, la cote de Jack Ma, fondateur d’Alibaba et philanthrope, déjà très populaire avant la crise (56%), augmentait de 8 points. L’épidémie a également fait réaliser à la population que les comportements individualistes sont dangereux. 59% des personnes interrogées s’accordent à dire que « si vous donnez aux gens plus de libertés, ils en abuseront » (+11%). Une approbation qui pourrait ouvrir la voie royale au gouvernement pour accentuer son contrôle de la population par le système de crédit social et la reconnaissance faciale. Aujourd’hui, ils sont 79% à accorder une plus grande importance à l’étiquette et aux bonnes manières (+12%), mais aussi à réaliser l’importance d’offrir une bonne éducation à ses enfants (+10%), la plupart des parents ayant dû assurer eux-mêmes le rôle des professeurs à la maison. La pression, déjà forte, sur leur progéniture, n’est donc pas prête de se relâcher après l’épidémie ! Les auteurs notent enfin que ces tendances ne sont pas propres à la Chine : elles seront visibles partout où le virus fera des dégâts.
2 Commentaires
severy
29 mars 2020 à 21:20Très intéressant article. Décidément, en Chine, les libertés individuelles sembleraient avoir moins de poids que l’homogénisation du citoyen, inhérente au moule sociétal. L’obéissance post-confucéenne à toute forme d’autorité, (qu’elle soit légitime ou non) basée sur le fatalisme ou sur l’alibi patriotique traditionnel, semble l’emporter sur le choix opéré dans l’optique d’aboutir à un idéal, le libre arbitre et l’esprit d’indépendance. Pour la population, obéir aux ordres, c’est-à-dire aux recommandations de l’autorité, permet dans le court terme d’échapper aux ennuis que provoqueraient la recherche du bonheur individuel, une activité fortement combattue par un pouvoir sans partage qui n’admet pas la critique. Cela veut-il dire que la majorité de la population adhère à ce modèle d’individuel collectif? Est-ce là l’avenir de la Chine?
severy
29 mars 2020 à 21:27Quand je parle de bonheur individuel, je vais bien entendu bien au-delà de la liberté qui consiste à pouvoir traverser la rue de la façon qu’on veut, en sautillant, en faisant des cumulets, en marchant à l’envers ou en criant à pleins poumons, tout en faisant bien attention de rester dans les clous.