Technologies & Internet : La 5G, symbole du leadership technologique chinois ?

L’investissement dans la 5G, qui doit remplacer la 4G actuelle, est l’un des grands enjeux du moment pour tous les pays, et pour cause : cette technologie va centupler les débits des smartphones, réduire d’autant les temps de latence, et ouvre la voie de la mobilité à très haut débit à toutes sortes d’activités, métiers et loisirs, inconcevables jusqu’alors. Ce n’est pas par hasard si l’Association mondiale des opérateurs de télécom (GSMA) tenait le 20 mars à Pékin sa conférence de débriefing sur le plus grand Salon des télécoms, Mobile World Congress, qui venait de se tenir comme chaque année à Barcelone. Le rapport présenté à cette occasion annonce dès 2025 une Chine deux fois plus connectée en 5G que l’Europe ou les Etats-Unis.

Le ton fut donné par Ken Hu, vice-président de Huawei. Livrant sa prévision de déploiement de la 5G dans le monde, Hu déclara que la Chine ne mettrait que trois ans à franchir la barre des 500 millions d’abonnés à la 5G, quand la 3G a nécessité neuf ans, et la 4G six ans. En 2019, Pékin compte y mettre 57% de son budget « technologies » pourvu de 256 milliards de $. L’objectif est d’être l’un des premiers pays à réseau 5G « entièrement opérationnel » et de conforter ainsi son avance mondiale en réseau.

Dans les pays développés, poussés par les équipementiers, les opérateurs commencent à passer commande pour leurs futurs réseaux 5G. Huawei est déjà en tête des ventes d’équipement (plus de 30% du marché mondial), tant pour le fixe (fibre optique) que pour le mobile (4G LTE). Deux Européens suivent, tous deux scandinaves : Ericsson et Nokia (ce dernier ayant acquis le franco-américain Alcatel-Lucent), devant le coréen Samsung et ZTE, autre groupe chinois. Ainsi, Huawei dispose d’une avancée technologique sur ses concurrents – une avance en passe d’être consolidée par la couverture 5G de son propre territoire qui lui permettra de réaliser des économies d’échelle sans équivalent,  et de réduire ses coûts pour proposer des prix imbattables, jusqu’à 30% moins cher que la concurrence. Pour les opérateurs, se passer de Huawei leur ferait prendre du retard et alourdirait la facture.

Si la Finlande, pays de Nokia, a commencé la première à vendre des abonnements 5G dès juin 2018, à travers son opérateur local Elisa, les smartphones sous cette technologie ne seront disponibles que mi-2019. Les autres pays européens rivalisent d’annonces, avançant des calendriers sans doute difficiles à tenir alors même que 4G et fibre, coûteux en investissements, ne sont pas encore totalement déployés dans les grands pays de la zone, France, Allemagne, Italie ou Royaume-Uni.

Quant aux Etats-Unis, ne disposant pas de leur propre champion de la 5G en cœur de réseau, ils passent commandes auprès de Nokia ou d’Ericsson. En effet, accusant Huawei d’espionnage pour le compte de Pékin, ils ont lancé une campagne appelant au boycott du groupe, et tentent de mobiliser leurs alliés pour freiner une dynamique qui pourrait faire de la Chine sous moins de dix ans, la première puissance technologique, les dépassant au passage. Car la 5G n’ est pas qu’un nouveau réseau mobile plus puissant permettant de jouer en ligne ou visionner des films sur smartphone, elle est aussi conçue pour devenir le socle de la nouvelle économie digitale. Elle le fera, en supportant les applications de l’Internet des Objets dans des domaines aussi variés et sensibles que l’e-santé, les fintech, le e-commerce, l’e-administration, l’énergie, ou la voiture connectée – autre domaine où la Chine entend être aux avant-postes. 

Pendant ce temps, c’est la Corée du Sud qui, dès le 1er décembre, est devenue la première nation d’Asie à disposer de son réseau de 5G commerciale. Elle reste en cela fidèle à sa vocation technologique, ayant été aussi la première, dès 2014, à faire migrer tous ses utilisateurs en 4G. Mais c’est aussi sur son territoire que les équipementiers ont les premiers croisé le fer : après quelques rebondissements, Ericsson a finalement été retenu pour les réseaux 5G de KT et de SK Telecom. Huawei pour sa part, a équipé 10 000 sites 5G du troisième opérateurs LG Uplus, le tout à la barbe de Samsung, pourtant fournisseur local de cette technologie !

La guerre de la 5G est donc déclarée : elle ne fait que commencer, et se poursuivra sur tous les continents, et tous les terrains. Ainsi, la visite du Président Xi Jinping en Europe, le 25 mars à Monaco, a été l’occasion de dévoiler que la principauté serait le premier pays entièrement couvert en 5G, par les soins de Huawei dont il sera la vitrine européenne, et qui y montera ses premières antennes 5G sur le vieux continent. Un excellent « coup », soit dit au passage, réalisé avec Xavier Niel, détenteur de 55% de Monaco Telecom à travers sa holding personnelle. Niel est aussi propriétaire de Free en France et d’Iliad, quatrième opérateur italien, lancé en 2018. L’entrée de Huawei à Monaco est symbolique, sur ce territoire de 2 km², mais il alimente les débats entre opérateurs et Etats européens, qui adoptent des positions finalement plus nuancées vis-à-vis des fournisseurs chinois, résistant à la pression des USA. En France, Orange ne se fournit pas chez Huawei pour son cœur de réseau, mais le fait déjà pour ses filiales, notamment en Espagne, en Pologne et dans des pays africains.

Suivant la tendance, le 26 mars à Bruxelles, la Commission Européenne se distanciait à son tour de l’appel des USA contre le groupe de Shenzhen, et recommandait aux pays membres « d’évaluer par eux-mêmes le risque pour leur souveraineté nationale ». On discerne ainsi, dans cette formule, une prise de position en creux, d’une porte en voie d’ouverture progressive à la 5G chinoise, sous surveillance rapprochée de chaque Etat membre…

Par Jean-Dominique Seval

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1 Commentaire
  1. severy

    Voici bientôt 400 ans que la Chine n’avait plus démontré au monde sa fabuleuse capacité à innover. Il était plus que temps qu’elle se réveillât. Voilà qui est fait. Le monde peut trembler – et pas seulement de peur.

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