Qu’est-ce qui a fait sortir des glaces le petit dictateur nord-coréen Kim Jong-un, en visite officieuse à Pékin du 25 au 27 mars, pour la première fois hors frontières depuis son avènement en 2011 ? En fait, cette visite est une action parmi d’autres pour se réconcilier avec le monde depuis trois mois. En décembre, à l’issue d’une série de tests nucléaires et de tirs de missiles intercontinentaux, alors que Donald Trump multipliait les menaces de frappes préventives sur sol nord-coréen, Kim annonçait tout à trac la participation d’une délégation sportive nord-coréenne aux JO d’hiver de Pyeongchang (Corée du Sud), réunifiée à la sudiste en une équipe unique : divine surprise ! Puis à l’issue des Jeux, la propre sœur de Kim se rendait à Séoul, porteuse d’une rare, double bonne nouvelle : au Président sud-coréen Moon Jae-in, elle proposait un sommet de réconciliation à Panmunjom, sur la zone démilitarisée, le 27 avril.
Moon recevait alors un message pour Donald Trump : Kim Jong-un était prêt à le rencontrer. Trump ayant saisi la balle au bond, le meeting aura lieu en mai dans un lieu encore à préciser.
La liste des sourires ne s’arrête pas là : le 29 mars, Thomas Bach, président du Comité International Olympique, était reçu à Pyongyang par Kim Jong-un qui l’assurait de la participation de son pays aux « deux prochains JO » de 2020 puis 2022. Puis le 1er avril, Kim assistait en sa capitale à un concert « K-pop » sud–coréen…
Une question se pose alors de savoir pour quelle raison, Kim a-t-il fait une visite impromptue à Xi Jinping, avant même d’avoir honoré l’invitation à Donald Trump, au risque de lui faire perdre la face et de compromettre dès le départ cette rencontre essentielle ?
Une première raison, à vrai dire la plus plausible, est la faim qui fait sortir le loup du bois. La récolte d’été (la seule de l’année, dans la région) est encore loin. Les greniers sont vides et les sanctions économiques internationales loyalement appliquées par la Chine, mordent. Le fait pour Kim de se réconcilier d’abord avec Pékin peut permettre d’espérer un assouplissement des contrôles aux frontières—de faire que la Chine ferme les yeux sur quelques transbordements de blé ou de pétrole en haute mer.
Une autre raison plus ancienne, est le sentiment de « fraternité d’arme » entre régimes socialistes, une constante de ces relations sino-coréennes. C’est l’argument que Xi et Kim ont invoqué après leur rencontre, pour justifier le retour à une amitié en veilleuse depuis dix ans.
Entre ces deux hommes pourtant, la réconciliation n’a pas dû être facile. En politique, le « pays du matin calme » attache une passion excessive sur son indépendance. Ce sont les séquelles d’une guerre féroce livrée entre superpuissances sur son sol en 1950-51, ayant dévasté le pays et causé plus d’un million de victimes. D’un point de vue nord-coréen, l’autodétermination n’a pas de prix—et l’arme nucléaire, le garant de survie du régime. Plus Pékin a tenté de l’inciter à s’engager dans un programme d’équipement et de bien-être, et plus l’impression d’ingérence s’est exacerbée en Corée du Nord. Xi, de son côté, s’est exaspéré de ce junior qui « mordait la main qui le nourrit », sans reconnaissance pour la protection matérielle et politique que la Chine octroyait au petit voisin aux instances de l’ONU. Aussi Xi a-t-il fini par soutenir les sanctions contre Pyongyang, et en décembre quand l’émissaire spécial de Xi Jinping franchit la frontière pour négocier, et prévenir l’attaque de l’US-Army, Kim Jong-un lui fit l’affront de ne pas le recevoir.
En définitive, si les deux chefs d’Etat ont décidé d’enterrer ce passé de froidure, c’est au nom d’un intérêt commun supérieur : Kim ne pouvait pas laisser son dialogue avec le monde aux mains du seul Trump. Xi de son côté, ne pouvait accepter que son pays soit au second plan dans une solution au problème nord-coréen. Les pays ont voulu rappeler que l’Asie socialiste était en état de régler ses problèmes, sans l’entremise du gendarme du monde.
Le fait pour Kim Jong-un de s’être rendu à Pékin en train, mode de transport exclusif de son père et de son grand-père, lui apporte la légitimité dynastique de ses aïeux. De par cette stature d’un Kim Jong-un dans la droite ligne de Kim Il-sung, le petit leader revendique de Xi Jinping un traitement d’égal à égal. Aux yeux de Xi, l’exigence peut paraître exorbitante. Mais l’enjeu justifie qu’il s’y prête : le temps est mûr, pour la Chine, de tenter de regagner une écoute perdue, de négocier (un jeu où elle excelle) un traité de paix à cette guerre de Corée toujours techniquement en cours. Il s’agit aussi pour la Chine d’empocher l’essentiel de la reconstruction de la Corée du Nord.
On croit enfin discerner comme cause de cette visite une dernière influence qui pourrait en fait avoir été décisive : Pâques, fête chrétienne de la résurrection, avait lieu 8 jours après le départ de Pyongyang. Fondée par Kim Il-sung, la DPRK repose sur une idéologie unique au monde, la Juche, syncrétisme entre trois courants maîtres :
-la légitimité dynastique de la famille de Kim, un principe que la Corée a toujours connu à travers son millénaire royaume du Koryo,
– la stalinienne dictature du Prolétariat,
– le protestantisme, qui fut la confession fervente de la mère de Kim Il-sung. Pâques, en chinois comme en coréen, est la fête de la « restauration de la vie » (复活节 – fùhuójié en mandarin, 부활절 – bu hwal jol en coréen). À l’échelle du pays, on peut y voir l’annonce d’une nouvelle ère et réconciliation avec le monde. Par ce voyage, en langage biblique, Kim Jong-un annoncerait la volonté et disponibilité de son pays à orchestrer sa renaissance, et retourner dans la société des nations – à condition qu’on l’y aide bien sûr, et qu’on l’y accepte.
1 Commentaire
severy
14 avril 2018 à 19:12Soyons réaliste. La Corée du nord est complètement à bout de souffle. Le régime est à bout de souffle. La population est à bout de souffle. La malnutrition est endémique. Le régime survit en affamant la population. Les sanctions économiques sont telles que le pays ne peut plus rien exporter. Les devises qu’il possède ne permettent même plus d’acheter de quoi remplir l’estomac des soldats et des policiers chargés d’empêcher ceux qui tentent de survivre en se réfugiant à l’étranger. Pour perdurer, sachant que la construction de quelques missiles nucléaires capables de décoller sans exploser mais qui seront abattus sans trop de problème par l’armée ennemie (qu’elle soit américaine, chinoise ou sud-coréenne) ne jouera pas son rôle – très théorique – de dissuasion, totalement en fin de course, le régime nord-coréen doit trouver le moyen de tenir un peu plus longtemps avant d’imploser, ce qu’il est destiné à faire, quoi qu’il arrive. Kim n’a pas le choix. Il doit négocier avec l’ennemi (le monde entier, à peu près) et le semi-ennemi (la Chine qui voudrait bien refaire de son voisin un protectorat, comme au 17è s.). Personnage bedonnant menacé de se retrouver avec une taille tendant fortement vers la concavité la moins respectable aux yeux de ses thuriféraires, Kim doit négocier la réouverture des tuyaux nutritifs apportant à sa garde rapprochée « quelques grains pour subsister » afin qu’elle soit à même de le défendre lorsque le peuple s’éveillera et, armé du sable de la révolte, viendra mourir en masse aux marches du palais. Sa chute ne fait aucun doute. Une prolongation de l’embargo ne manquera pas de la précipiter. Kim doit urgemment – pour assurer un temps sa propre survie; il ne se soucie pas de celle du peuple – déserrer l’étau que les Nations Unies ont passé autour du cou, déjà si squelettique, de ce malheureux pays. La seule façon d’assurer à la Corée du nord sa survie et de libérer le peuple d’un régime tyrannique qui l’assassine, c’est d’en exciser la tumeur. Kim delenda est.