Le sommet Trump-Xi Jinping promettait d’être une affaire médiatique et tendue. Sous les feux de la rampe, ces leaders se montreraient incapables de dépasser leurs antagonismes, avivés par les mots offensifs de D. Trump durant sa campagne. Mais la rencontre de Mar-a-Lago (Floride, 6-7 avril), résidence privée du Président américain, fut à l’inverse des attentes. Elle fut amicale et discrète, plongée dans l’ombre par un événement de dernière minute, le raid de l’US Navy (6 avril), contre la base aérienne syrienne d’Al Shayrat près de Homs, en rétorsion de l’attaque au gaz toxique par l’aviation de Bachar el-Assad contre la ville rebelle de Khan Cheikhoun, ayant causé 100 morts dont 30 enfants.
Situation ubuesque mais bien réelle : quand furent tirés les 59 missiles Tomahawk par des navires de l’US Navy en Méditerranée, Xi était reclus avec Trump au club de luxe près de Palm Beach. Xi eût pu s’en irriter, cette frappe allant contre les principes de son pays qui rejette l’action militaire, professant que seule la diplomatie peut ramener la paix.
Toutefois Donald Trump, bien conseillé, semble avoir réussi à limiter les risques. Il a d’abord prévenu ses alliés européens, puis tout de suite après, Xi Jinping – « à dîner, au moment du dessert », précise la chronique. En même temps, depuis le Liban, « 60 à 90 minutes avant la frappe », un officier américain avisait les forces russes, par téléphone d’alerte, conformément aux dispositifs bilatéraux de prévention de conflit, de faire évacuer la base d’Al Shayrat.
De la sorte, côté chinois, la face était sauve. De part et d’autre, tous les efforts étaient déployés pour jouer la cordialité et rebâtir la confiance. L’objectif était ainsi respecté, préparé quelques jours plus tôt à Pékin par le Secrétaire aux Affaires étrangères Rex Tillerson : rétablir le dialogue.
Et de fait, au soir du deuxième jour, Xi Jinping déclarait qu’entre les deux pays existaient « 1000 raisons d’approfondir la relation, et aucune pour la faire dérailler ». Une phrase qui faisait contrepoint à celle de Donald Trump, en substance : « nous avons beaucoup échangé. Je n’ai encore rien obtenu—mais l’empathie entre nous est profonde » !
Quel bilan peut-on tirer de ce sommet ? D. Trump a accepté une invitation en Chine, « dans l’année ». Par la voix du Secrétaire au Commerce Wilbur Ross, les chefs d’Etat ont lancé leurs diplomates dans une course contre la montre pour un accord « sous 100 jours, avec étapes intermédiaires », afin de résorber le déficit commercial, le principal contentieux. Pas question donc pour D. Trump de donner suite à ses menaces de campagne, de déclarer la Chine « manipulatrice de sa monnaie », ni de lui asséner des taxes de « 45% ».
Un autre accord, encore largement secret, concerne la Corée du Nord. La Chine, généralement, ne veut pas modifier le statut précaire de la péninsule (toujours techniquement en état de guerre) —un statut qui l’a bien servie, faisant d’elle le protecteur unique du « Pays du Matin Calme », au quasi-monopole sur ses échanges extérieurs. Mais justement, la frappe en Syrie a aussi été profilée pour briser l’immobilisme chinois : selon Trump et son entourage, si Pékin se montre incapable de désarmer Pyongyang avant qu’il ne dispose réellement de missiles intercontinentaux et d’ogives nucléaires, les USA se feront forts d’agir seuls, par des actions du type de la frappe en Syrie…
Xi Jinping de son côté offrit quatre mécanismes de consultation, en remplacement du « Dialogue stratégique et économique que » menaient Obama et ses prédécesseurs, dialogue désormais caduc puisque dénoncé par Trump aux premiers jours de son mandat. Ces instruments cibleront respectivement « sécurité et diplomatie », « économie et échanges commerciaux », « application des lois et cybersécurité », et « échanges entre peuples ». Ces groupes consultatifs seront dirigés côté chinois par le Vice-Premier Wang Yang et le Conseiller d’Etat Yang Jiechi, et côté américain par Rex Tillerson et son collègue au Trésor Steven Mnuchin. Parmi les quatre, un instrument de consultation est spécialement remarqué, celui traitant de la cybersécurité. Régulièrement, les Etats-Unis accusent la Chine de lancer des attaques massives contre les sites étrangers par les agences occultes de l’Armée Populaire de Libération. Le fait que l’offre de dialogue sur ce sujet, émane de Xi Jinping en personne, suggère que les deux pays prennent désormais le sujet au sérieux—avec volonté de discipliner cet outil nouveau encore sans lois…
Dernière remarque : impossible d’ignorer les deux incidents graves à travers le monde qui se sont produits juste avant le sommet Trump-Xi. À 72 heures du meeting, la Corée du Nord faisait un « test » de missile, suivi le même jour par le bombardement chimique syrien. A l’évidence, ni Washington, ni Pékin ne portent de responsabilité dans ces frappes. Mais la question doit être posée, d’une intention de leurs auteurs (Kim Jong-un pour le 1er cas, Bachar el-Assad voire Vladimir Poutine pour le second) de faire capoter le rapprochement sino-américain. Dans le cas de la frappe chimique, le plan pouvait être de forcer la Chine à voter avec Moscou contre la résolution anti-Assad au Conseil de Sécurité, et de la sorte, torpiller toute chance d’accommodement à Mar-a-Lago…
La première partie du plan a bien eu lieu –Pékin a dû faire jouer sa solidarité quasi-automatique avec les russes à l’ONU. Mais la suite, un envenimement du sommet, n’a pas pu suivre –pas plus qu’un effet du missile nord-coréen. Mais il est amusant de constater, quand Chine et USA se disputent, le nombre des pays prêts à jouer gros afin de préserver ce climat négatif. Et de constater aussi leur échec final.
Sommaire N° 13 (2017)