
Éclipsée par la salve tarifaire infligée par Donald Trump au monde entier, la nouvelle de l’échange de poste de deux membres (sur 24) du Politburo, l’organe décisionnel du Parti, est quelque peu passée inaperçue. S’il n’est pas rare de voir des ministres passer d’un ministère à l’autre, voir deux membres du Politburo faire de même est tout simplement sans précèdent.
Ainsi, suite à une réunion du Politburo le 31 mars, Shi Taifeng (石泰峰), 68 ans, a été « promu » à la tête du département de l’Organisation du Parti – un poste convoité puisqu’il est en charge de toutes les décisions relatives au personnel –, tandis que Li Ganjie (李干杰), 60 ans, qui occupait cette fonction jusqu’à présent, a été nommé chef du département du Front Uni – un organe chargé de l’influence du Parti sur les minorités religieuses et ethniques, ainsi que sur Hong Kong et Taïwan –, auparavant dirigé par Shi. Même s’il n’y a eu aucune annonce formelle, leurs biographies officielles ont été mises à jour.
Les deux hommes étaient entrés en fonction en même temps, quelques mois après le XXème Congrès de 2022. A l’époque, le choix de Li Ganjie, ingénieur en sécurité nucléaire et ex-ministre de l’environnement, à la tête du département de l’Organisation, avait déjà suscité quelques doutes chez les observateurs, du fait de son expérience limitée en la matière. L’ascension fulgurante de ce « technocrate » s’expliquait néanmoins par sa proximité avec Chen Xi, 71 ans, l’ancien camarade de Xi Jinping à l’université Tsinghua.
Aujourd’hui, la nomination de Li Ganjie au Front Uni peut être interprétée de diverses façons.
La première hypothèse voudrait que Xi Jinping n’ait pas été pas satisfait du travail de sélection de Li durant les deux dernières années. En conséquence, il n’aurait pas souhaité le maintenir à ce poste, surtout à la veille du 4ème Plenum (probablement au 2nd semestre 2025), étape cruciale pour la constitution de la prochaine équipe dirigeante qui sera dévoilée lors du XXIème Congrès du Parti en 2027.
« Li Ganjie avait été choisi pour prendre la direction du département de l’Organisation uniquement car Chen Xi l’avait recommandé à Xi Jinping. Cependant, Li a déçu à de multiples occasions, n’ayant même pas été en mesure de « protéger » certains associés de Chen Xi des inspecteurs de l’anti-corruption. La décision a donc été prise de le transférer ailleurs », commente Alex Payette, cofondateur du cabinet Cercius. Cela pourrait expliquer pourquoi Li Ganjie, n’est jamais devenu président de l’École centrale du Parti – poste que Chen Xi a conservé jusqu’à présent.
« Il est également loin d’être évident que Li brillera davantage à la tête du Front Uni, lui qui ne s’est jamais montré être un fervent défenseur de la réunification avec Taïwan », poursuit l’analyste canadien.
Dans tous les cas de figure, la « rétrogradation » de Li Ganjie au Front Uni pourrait bien tuer dans l’œuf toutes ses chances d’intégrer le Comité Permanent (7 membres) en 2027, lui qui était pourtant l’un des seuls représentants de la « 6ème génération » (hommes politiques nés entre 1960 et 1969) au Politburo…
A l’inverse, placer Shi Taifeng, à la tête du département de l’Organisation, était un choix évident dès le départ. L’homme, qui a passé 20 ans à l’Ecole du Parti, a eu l’occasion de servir sous trois de ses présidents : Hu Jintao, Zeng Qinghong et enfin Xi Jinping. Il a également entretenu des relations étroites avec l’ex-premier ministre, feu Li Keqiang, les deux hommes étant tous deux diplômés de l’école de droit de Tsinghua.
La situation n’est pourtant pas si évidente. Certes, du point de vue de Xi, placer Shi, l’un de ses hommes de confiance à la tête d’un puissant département avant d’entrer dans une période critique pour son avenir politique, est une décision judicieuse s’il veut s’assurer que le processus se déroule selon ses souhaits.
Cependant, Shi, qui a appris à naviguer entre différentes factions politiques tout au long de sa carrière, pourrait être tenté de négocier avec d’autres forces en présence au sein du Parti, qui souhaiteraient s’assurer d’avoir leur mot à dire dans le remaniement du personnel en amont du XXIème Congrès.
C’est ce qui pousse certains à penser que ce n’est pas Xi qui est à l’origine de la nomination de Shi, mais bien ses opposants, désireux de reprendre la main avant 2027. Si cette hypothèse se confirme, elle expliquerait bien d’autres « bizarreries » observées récemment au sommet du Parti, de l’Etat et de l’armée. Et dire que le marathon vers le XXIème Congrès ne fait que commencer…
Sommaire N° 12 (2025)