Editorial : « Non, l’économie chinoise ne va pas si mal »

« Non, l’économie chinoise ne va pas si mal »

C’est ce qui s’appelle lancer un pavé dans la mare. Dans une tribune publiée le 2 avril dans le prestigieux magazine américain Foreign Affairs, l’économiste Nicholas R. Lardy tente de démontrer que ceux qui pensent que la Chine pourrait entrer dans une longue récession, vivre sa « décennie perdue » et ne jamais dépasser les Etats-Unis en tant que première puissance économique mondiale, pourraient bien avoir tort. 

Tout en reconnaissant les vents contraires auxquels fait face le pays (crise immobilière, sanctions imposées par les Etats-Unis, baisse de la population active…), le chercheur du Peterson Institute argumente que depuis la politique de réforme et d’ouverture introduite dans les années 70, la Chine a connu et surmonté des challenges encore plus grands que ceux-là. M. Lardy souligne aussi que même si le taux de croissance de la Chine ralentit, il est tout de même appelé à augmenter deux fois plus vite que celui des USA dans les prochaines années.

Bien sûr, ce plaidoyer n’est pas passé inaperçu en Chine. Même Xinhua a repris certains passages de l’article. Ce n’est pas non plus la première fois que M. Lardy est cité (malgré lui ?) par la presse officielle. En effet, L’économiste américain s’attaque aux « idées reçues » concernant le ralentissement économique chinois.

La première a trait à la faible consommation des ménages. Or, selon les statistiques officielles, le revenu réel par habitant et la consommation par habitant ont respectivement augmenté de 6% et 9% l’an passé. Si le moral des ménages était véritablement en berne, les ménages réduiraient leur consommation et consolideraient leur épargne, argumente-t-il. Cependant, les Chinois ont fait l’inverse l’an dernier : la consommation a cru plus vite que le revenu, ce qui est possible uniquement si les ménages réduisent la part de leurs revenus destinés à l’épargne, explique-t-il.

L’autre « méprise » selon Nicholas Lardy serait de croire que la déflation s’installerait en Chine. Certes, les prix à la consommation ont baissé de 0,2% en 2023, ce qui a conduit certains à craindre que les ménages réduisent leurs dépenses en anticipation d’une baisse des prix, précipitant la Chine sur le chemin de la récession. Or, ce scénario n’a pas eu lieu puisque les principaux prix à la consommation (ceux de biens et services en dehors de l’alimentation et l’énergie) ont en fait augmenté de 0,7%, affirme l’économiste.

Un troisième sujet d’inquiétude concerne le risque d’effondrement des investissements immobiliers. Si l’économiste reconnaît que ces craintes ne sont pas totalement infondées et sont corroborées par les données sur les mises en chantiers (deux fois moins en 2023 qu’en 2021), la chute des investissements immobiliers n’a été « que » de 20%, les promoteurs se focalisant sur l’achèvement de leurs projets entrepris les années précédentes. Ainsi, le nombre de logements achevés a pour la première fois dépassé les mises en chantier en 2023. Le fait que le gouvernement ordonne aux banques de prêter aux projets sur le point d’être finalisés a indéniablement contribué à ce résultat. A l’inverse, un assouplissement généralisé des prêts bancaires aux promoteurs aurait aggravé l’engorgement du marché, juge le chercheur américain.

Enfin, la dernière idée reçue à laquelle M. Lardy souhaite tordre le cou, c’est celle voulant que les entrepreneurs chinois sont découragés et transfèrent leur fortune en dehors du pays. Sans nier le froid jeté par la reprise en main réglementaire des géants de la tech fin 2020 et la baisse de la part des investissements privés par rapport à celle du secteur public depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, il pointe aussi que lorsqu’on exclut le secteur immobilier (qui subit à son tour un correctif ordonné par Pékin), les investissements privés ont augmenté de presque 10% en 2023.

Certes, l’argumentation de M. Lardy suscitera sans aucun doute un débat parmi ses pairs. Néanmoins, sa conclusion mettra probablement tout le monde d’accord, à savoir : sous-estimer la résilience de l’économie chinoise et exagérer les problèmes auxquels la Chine fait face pourrait conduire à une certaine complaisance face aux défis très réels que la Chine représente pour l’Occident.

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