« Vous n’êtes pas des invités, vous êtes de la famille ». C’est en ces termes chaleureux que les participants étrangers ont été accueillis au China Development Forum (CDF) qui s’est déroulé à Pékin du 25 au 27 mars. Cela faisait bien longtemps que l’on n’avait plus entendu des propos aussi bienveillants de la part des dirigeants chinois à l’égard des entreprises étrangères.
Li Qiang, Premier ministre, Han Zheng, vice-président de la RPC, Ding Xuexiang, vice-premier ministre exécutif chargé de la science et des technologies, He Lifeng, vice-premier ministre en charge de l’économie et du commerce extérieur, Wang Wentao, ministre du commerce, Liu Kun, ministre des finances, Zheng Shanjie, patron de la tutelle de l’économie (NDRC)… Tous se sont appliqués à faire passer le même message : « n’ayez crainte, la Chine va continuer sa politique d’ouverture et cela peu importe la situation internationale » et « vos investissements sont plus que bienvenus ». Même Qin Qang, ministre des affaires étrangères, hier qualifié de « loup guerrier », a pris pour exemple les « success-stories » de Tesla à Shanghai et de Fuyao Glass en Ohio pour démontrer qu’un potentiel de coopération subsiste encore, malgré une relation sino-américaine à « son plus bas historique ».
Cette offensive de charme reflète la priorité accordée par Pékin cette année aux investissements étrangers, perçus comme l’une des clés pour relancer l’économie chinoise. En parallèle, 2023 a été désignée comme « l’année des investissements en Chine ». Ce n’est pas rien : c’est la première fois que les décideurs consacrent une année entière à ce thème. Rien qu’à Shanghai, les autorités recherchent activement des investisseurs pour financer huit méga-projets, dont un terminal ferroviaire, un parc éolien en eaux profondes, une « ceinture écologique » autour de la ville, des programmes de logements subventionnés ainsi que des projets pour améliorer la qualité de l’eau potable… Montant total recherché : 1 800 milliards de yuans !
Dans l’auditoire du CDF, se trouvaient 69 PDG de multinationales (Apple, Allianz, BMW, Danone, Deloitte, Hitachi, Mercedes-Benz, Nestlé, Pfizer, Samsung, Schneider Electric…) pour lesquels c’était le premier voyage en Chine après un hiatus de trois ans, causé par la fermeture des frontières durant la pandémie. Pour ces capitaines d’industrie, faire le déplacement était essentiel pour juger par eux-mêmes la réalité du terrain qui a beaucoup changé ces dernières années, rencontrer leurs employés locaux, clients, partenaires et fournisseurs, mais aussi établir un premier contact avec la nouvelle équipe dirigeante chinoise.
Malgré un enthousiasme palpable, la prudence était de mise. En effet, le pragmatisme dont faisaient preuve hier les autorités chinoises et qui séduisait tant les hommes d’affaires, semble avoir disparu au profit de considérations idéologiques. La politique « zéro Covid » ayant mené au confinement brutal de Shanghai et de ses 25 millions d’habitants pendant deux mois en est l’exemple le plus flagrant, tout comme la mise au pas du secteur privé (tech, immobilier, jeux vidéo, soutien scolaire…). Et faire revenir en Chine Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, après une période d’exil, ne suffira pas à dissiper leurs inquiétudes, ni celles des entrepreneurs chinois.
Un autre sujet de préoccupation s’est également invité dans les conseils d’administrations des multinationales étrangères, reléguant au second plan les vieilles plaintes liées aux restrictions d’accès au marché et les difficultés structurelles de l’économie chinoise (vieillissement de sa population, difficultés financières des gouvernements locaux, baisse des exportations…) : il s’agit du risque géopolitique, au vu des tensions croissantes entre Pékin et Washington, notamment autour de Taïwan. Le retrait forcé des firmes occidentales de Russie suite à l’invasion de l’Ukraine a résonné comme une mise en garde.
Dans ces conditions, les groupes étrangers y réfléchissent à deux fois avant d’envisager de nouveaux investissements en Chine. D’ailleurs, la plupart d’entre eux semblent adopter une stratégie similaire : continuer de profiter du potentiel du marché chinois tout en diversifiant leur chaîne d’approvisionnement, de manière à éviter de se retrouver au pied du mur si un conflit devait éclater.
C’est le choix fait par le géant américain Apple, qui a récemment annoncé vouloir ouvrir de nouveaux sites d’assemblages au Vietnam et en Inde, de manière à ne plus dépendre uniquement de la Chine. Plus étonnant, les entreprises chinoises, elles aussi, préparent leur plan B en s’implantant hors du pays.
Ainsi, peu importe le niveau d’ouverture promis par les dirigeants chinois, seul un apaisement des relations sino-américaines pourrait alléger les craintes des chefs d’entreprises. Cependant, les dernières polémiques (ballon-espion, interrogatoire du PDG de TikTok par les parlementaires américains..) ne laissent pas présager d’une telle détente, bien au contraire.
Sommaire N° 12 (2023)