Petit Peuple : Taiyuan (Shanxi) : Zhang Jiling – Il n’est jamais trop tard pour apprendre

Taiyuan (Shanxi) : Zhang Jiling – Il n’est jamais trop tard pour apprendre

À 51 ans, Zhang Jiling est devenue la star de son campus. Son visage souriant s’affiche aux nouvelles régionales et sa silhouette menue fait se retourner les étudiants sur son passage. Certains considèrent qu’elle ne devrait pas être ici, ayant pris la place tant convoitée d’un autre étudiant, mais la plupart la surnomment affectueusement « tata Zhang » et lui glissent à l’oreille qu’ils admirent sa ténacité. Zhang Jiling, elle, n’oubliera jamais que son fils ne voulait pas qu’elle vienne le chercher à l’école, honteux de son travail de femme de ménage puis de coiffeuse itinérante. Elle s’était jurée à cette époque de saisir la moindre opportunité pour reprendre ses études et ne plus subir les regards condescendants des autres. Elle deviendrait quelqu’un d’instruit. 

« Comme la distance met à l’épreuve la force d’un cheval, le temps révèle la vraie nature d’une personne » (路遥知马力,日久见人心, lù yáo zhī mǎ lì, rì jiǔ jiàn rén xīn). On pourrait ajouter d’un projet aussi, et même d’un amour. Il lui aura fallu plusieurs tentatives et des heures et des heures de cours du soir pour obtenir enfin son gaokao à cinquante ans. Le gaokao, l’équivalent du baccalauréat français, conclut les études secondaires en Chine et sert de concours d’entrée aux universités. Les admissions sont en effet fonction de l’ordre de classement obtenu à cet examen. Pour Jiling, ce sera le Shanxi Technology and Business College.

C’est en observant son fils préparer le gaokao qu’elle s’était décidée à le passer à nouveau, surmontant l’échec cuisant de ses dix-sept ans. À l’époque, les cheveux frisés, le visage quelconque, elle n’était jamais choisie pour représenter son école sur une estrade lors de manifestations officielles, et personne ne lui disait qu’elle était belle. Le bonheur, elle le savait, viendrait par les études. Mais elle était tombée amoureuse, et un fils lui était né, pour lequel il fallait déjà économiser le moindre sou. Le même qui montrerait tant d’ingratitude plus tard par ses propos méprisants. Mais Jiling ne lui en veut pas. Grâce à lui, elle fait aujourd’hui ce qu’elle aime. Dans son université, la voici qui se spécialise dans l’enseignement préscolaire à l’âge où toutes ses voisines, avec qui elle papotait dans la cour de l’immeuble, se préparent à prendre leur retraite. La plupart ne comprennent pas cet appétit d’apprendre ni ce qu’elle est prête à endurer pour y arriver. Logée comme les autres étudiants dans un dortoir universitaire, une chambre de 20m2 partagée à 4, Jiling ne se couche pas avant 23h et se lève tous les matins à 5h. Lors de son footing matinal, elle apprend des mots d’anglais. Pendant les séances de gymnastique quotidiennes, elle tient la planche plus longtemps que les jeunes hommes de sa classe, stupéfaits. Si elle peut compter sur son excellente mémoire, ses lacunes dans l’univers digital lui font perdre beaucoup de temps. Un projet d’animation de quelques heures devient pour elle un labeur de plusieurs jours.

Et peut-être aussi que le temps, après l’avoir mis à l’épreuve, a mis au jour la vraie force de son couple. Chaque mois depuis plusieurs années, son mari met de l’argent de côté, non pour réaliser ses rêves à lui – voyager des milliers de kilomètres sans en voir le bout – mais pour voir éclore ses rêves à elle. Il l’a vue pendant des années enchaîner les petits boulots, s’occuper avec dévouement de leur fils, assurer l’intendance de la maison, le soutenir dans ses galères, et attendre, attendre patiemment le moment où elle pourrait enfin faire ce qu’elle a toujours voulu faire : étudier.

Au début, il rabrouait les voisins qui le plaignaient, aujourd’hui il les laisse causer, cela les occupe… Le soir, épinglées sur l’un des murs de l’appartement, les photos de voyage de leur fils lui tiennent compagnie ainsi que les vidéos que Jinling lui envoie de sa vie sur le campus. Toute la semaine, il réfléchit aux provisions à glisser dans le sac qu’il lui apporte trois fois par semaine, à l’heure du déjeuner. Elle lui a plusieurs fois répété de n’en rien faire mais il y tient et ne mange qu’une fois rentré chez lui. Dans le sac, des cong you bing, ces galettes salées à la ciboule, des œufs, du porridge, des fruits, bref de quoi éviter à Jiling de faire la queue le matin pour petit-déjeuner et gagner de précieuses minutes. Pour lui, une façon de l’apercevoir, de lui montrer qu’il tient à elle, qu’il est fier d’elle. Dans la vie, la lenteur n’est pas un handicap, c’est l’immobilité qui tue. Avec Jinling qui lui répète souvent : « tant que je peux marcher, même pas à pas, il y aura toujours un chemin à parcourir », le voici paré, et sur ce chemin du savoir, pas de bout en vue non plus !

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