C’est un drame qui a marqué le pays entier. Le 21 mars, un Boeing 737-800 NG de la compagnie China Eastern, reliant Kunming à Canton, s’est écrasé avec 132 personnes à bord, dont neuf membres d’équipage. Alors que le MU5735 devait débuter sa descente, l’appareil serait tombé de plus de 7 600 mètres d’altitude en moins de trois minutes, ponctuée par une brève remontée de 10 secondes, avant de s’encastrer en flanc de montagne dans la province du Guangxi, aux environs de la ville de Wuzhou. Les contrôleurs du trafic aérien ont tenté à plusieurs reprises d’entrer en contact avec l’équipage pendant son plongeon, en vain… Étant donnée la violence de l’impact, aucun passager n’a survécu. Seuls quelques tissus humains et effets personnels à moitié calcinés ont été retrouvés par les secouristes. 72h après l’accident, les familles ont été autorisées à accéder au lieu du crash sous bonne garde, tandis que les médias ont reçu la consigne de ne pas trop s’étendre sur leur douleur.
Cela n’a pas empêché l’accident de susciter une vague d’émotions dans le pays entier, détournant momentanément l’attention du public de la guerre en Ukraine et de la situation sanitaire. En moins de 24h, le hashtag dédié au MU5735 a reçu plus de 2 milliards de vues sur Weibo.
En une rare réaction à chaud, le président Xi Jinping s’est déclaré « sous le choc » et a appelé à « déterminer au plus vite les causes de l’accident ». Pour cela, il a dépêché dans le Guangxi son bras droit Liu He, vice-premier ministre aux transports, et le conseiller d’État Wang Yong, chargé de l’aide aux sinistrés.
Parallèlement, la tutelle de l’aviation civile (CAAC) a ordonné une révision de toutes les procédures en lien avec la sécurité aérienne tandis que China Eastern a cloué au sol ses 200 Boeing 737-800. Au total, le pays dispose de la plus grande flotte de ce modèle, avec près de 1200 appareils. C’est l’un des best-sellers de Boeing, considéré comme l’un des appareils les plus sûrs, avec seulement 11 accidents mortels pour 7000 appareils depuis 1997.
Un mois plus tôt, la CAAC avait célébré les 100 millions d’heures de vol (137 mois) sans accident des compagnies aériennes chinoises – un record mondial. En effet, les accidents d’avion sont plutôt rares en Chine, pays où le trafic aérien s’est considérablement développé ces dernières décennies, où la flotte est relativement neuve, et où les mesures de sécurité sont généralement strictes. Le dernier accident remonte à août 2010 lorsqu’un Embraer de la compagnie Henan Airlines avait raté son atterrissage près de Yichun (Heilongjiang) dans des conditions météo difficiles (44 morts sur 96 passagers). Le commandant de bord avait été condamné à trois ans de prison pour avoir commis des erreurs de pilotage.
À en croire les experts, les conditions du crash du MU5735 sont exceptionnelles, car les pilotes n’ont émis aucun message de détresse et l’appareil a chuté verticalement, apparemment en un seul morceau, sans fumée visible. Le mystère entourant l’accident a contribué à favoriser la prolifération de rumeurs, vite censurées ou réfutées par les médias d’État.
Après 48h de recherches, l’une des deux « boîtes noires » de l’appareil – l’enregistreur des voix dans le cockpit (CVR) – a été retrouvée, sévèrement endommagée. L’analyse pourrait prendre plusieurs jours, voire semaines, en fonction de l’état de la mémoire interne. Quatre jours plus tard, la seconde boîte noire, celle contenant les données du vol (FDR), a également été déterrée.
À ce jour, tous les scénarios sont envisagés par les enquêteurs, même si la CAAC et China Eastern semblent minimiser la possibilité d’une mauvaise manœuvre ou d’un sabotage délibéré de l’un des trois pilotes à bord, soulignant leur expérience et leur situation familiale « harmonieuse », et celle d’un manque d’entretien de l’appareil entré en service en juin 2015. La compagnie a ajouté que ses dépenses de maintenance avaient augmenté l’an passé de 12% par rapport à 2019, alors que le nombre de vols a été réduit. Quant à la météo ce jour-là, elle ne présentait pas de « risque particulier », a affirmé la CAAC.
La dernière hypothèse est celle d’un problème de conception ou de fabrication de l’avion. Ce serait un nouveau coup dur pour Boeing, après les deux accidents de son modèle le plus récent, le 737 MAX (346 victimes au total), attribués à un système anti-décrochage défaillant. En mars 2019, la CAAC avait été le premier régulateur à travers le monde à décréter une interdiction de vol du MAX – une mesure qu’elle vient de lever en décembre dernier, après un hiatus de près de trois ans.
Les enjeux sont également de taille pour le régulateur chinois (CAAC), qui devra mener cette enquête avec le même niveau de professionnalisme et de transparence que ses homologues américains ou européens. Des experts et techniciens du Conseil américain de la sécurité des transports (NTSB), de la Federal Aviation Administration américaine (FAA), de Boeing, de CFM International (JV entre GE et Safran), ont déjà été invités à participer aux investigations. En revanche, leur voyage en Chine est encore incertain en raison des conditions de quarantaine à l’arrivée… Si la convention relative à l’aviation civile internationale préconise que « le pays de construction » soit invité à se joindre à l’enquête, étant données les tensions entre la Chine et les États-Unis, rien n’était acquis d’avance.
Malgré ces premiers signes encourageants, le désir de la Chine de renforcer sa stature internationale et de maintenir la stabilité (sociale) en cette année politiquement cruciale pour le leadership, pourrait nuire à l’enquête, surtout si elle met en cause China Eastern.
Depuis le début de la pandémie en 2020, les compagnies aériennes chinoises ont enregistré 211 milliards de yuans de pertes. Elles étaient censées renouer avec le profit cette année, mais c’était sans compter sur la hausse des prix du carburant. Selon un rapport financier de China Eastern datant de 2021, la compagnie a tenté de réduire ses coûts en réduisant le poids à bord des appareils, en optimisant les plans de vols ou encore en encourageant le roulage avec un seul moteur…
En attendant que toute la lumière soit faite sur les causes de l’accident, les passagers chinois pourraient bien hésiter à monter dans un avion de China Eastern ou un Boeing 737-800…
Sommaire N° 12 ( 2022 )