Durant toutes ces années pourtant, la police n’était pas restée inactive. Cela faisait 10 ans au bas mot que le Commissaire principal Qiu Yuanming, depuis son arrivée à ce poste, avait identifié la source et suivait les activités de la triade du troisième âge. Mais sa tâche était compliquée par un nombre d’obstacles, l’empêchant d’épingler ces délinquants d’un nouveau genre, vrais extraterrestres du monde du crime.
Neuf fois sur dix, les victimes ne portaient pas plainte. En fait, elles ne parlaient même pas à leurs familles ni à leurs voisins de l’attaque dont elles venaient d’être l’objet. Bien plus tard, quand la police et les journalistes viendraient leur demander les raisons de leur silence, elles évoqueraient l’âge des perpétrateurs : plus de 70 ans en moyenne. C’était donc des anciens qui, en Chine, sont considérés comme détenteurs de la sagesse collective – ceux qu’il faut écouter et respecter, et ne pas dénoncer. De plus, les personnes rackettées doutaient que la police puisse arrêter les coupables, remettre la main sur les fonds qui leur avaient été extorqués, et surtout les mettre hors d’état de nuire. Car les dénoncer eût été périlleux : si les costauds du troisième âge étaient remis en liberté après leur arrestation, qu’est-ce qui les empêchait de revenir se venger ? Une autre raison, plutôt paradoxale, tenait à la politesse des bandits. Car s’ils rançonnaient et taxaient sans scrupule, cognant ceux qui refusaient de payer, ils entouraient généralement leur chantage de formes cérémonieuses qui faisaient très vieux jeu. Ainsi, une fois leur dime prélevée, ils remerciaient toujours le payeur, comme si ce dernier agissait spontanément de bon cœur, pour sa « contribution au soutien de la petite santé du troisième âge ». Aussi, les inspecteurs ne voyaient remonter jusqu’à eux les actes d’extorsion du gang que très tardivement, de troisième main, des semaines après l’événement.
Toutes ces circonstances défavorables firent que la « Société des anciens du clan Liu » put s’installer et prospérer dans le crime durant près de 12 ans sans se trouver en quoique ce soit inquiétée, jusqu’en 2015. L’« étincelle qui mit le feu à la prairie » (星星之火,可以燎原, xīng
Dès le lendemain, Liu Diyi, le chef du clan de 83 ans, fut convoqué, ainsi que Lu’An son épouse de 80 ans, suivis de Qinshou le frère cadet de 77 ans. L’enquête fut longue et difficile, faute de pouvoir rassembler les preuves. Eberlués, les inspecteurs ne parvenaient pas à croire que ces braves pensionnés puissent être de redoutables malfaiteurs. Il fallut attendre 2018 pour parvenir à trouver, par chance, le cas permettant de les incriminer. Au début de ces années d’enquête, les petits vieux avaient gelé leurs activités de racket des restaurants, des riches et des lignes de bus privés. Mais après quelques mois, les caisses à vide avaient fait sortir le loup du bois : il leur avait fallu reprendre la collecte d’un impôt illicite, afin de simplement survivre. Un projet d’école professionnelle devait se construire dans la ville, pour maintenir sa jeunesse sur place et éviter que les frais d’écolage n’aillent vers Nanchang la capitale provinciale disposant d’un tel établissement. La « Société des anciens du clan Liu » avait alors exigé 100 000 yuans pour laisser bâtir le complexe. Tel montant dépassant le budget de façon insupportable, la tentative d’extorsion avait fait capoter le projet, au désespoir des parents d’élèves et à l’exaspération des édiles locaux.
Dès lors, les langues se délièrent, et les témoignages accusateurs permirent d’appréhender le groupe. Il y eut encore des retards et moments burlesques où les vieux, abusant du respect dû à leur âge, prétendaient perdre la mémoire, ou bien exigeaient de se rendre sur un site de reconstitution en ambulance.
Enfin le dossier fut bouclé, et le juge – celui là même qui avait été empêché de déménager – remit ses verdicts : 16 ans pour Liu Diyi, 13 pour sa femme et son cadet, et un minimum de 3 ans pour ceux convaincus de complicités plus légères. A 79 ans, l’âge moyen du gang fixait un nouveau record dans la pyramide des âges de la mala vita au Céleste Empire. Cependant en définitive, l’histoire ne finit pas si mal pour nos truands du troisième âge. Aux dernières nouvelles, le gang aurait vidé sa cagnotte de catastrophe, thésaurisée depuis le départ, afin d’obtenir de l’administration corrompue leur affectation à une seule et même prison à la discipline notoirement douce. Ils resteraient donc ensemble, à l’ombre et au chaud. Selon un témoignage de bonne source, Liu Diyi, le président de la « Société des anciens du clan Liu », aurait même discrètement déclaré ce mot de la fin : « au départ, nous nous sommes organisés pour refuser ensemble la misère qui nous attendait, puisque nous avions été oubliés de tous. Par suite, nous nous sommes donnés des années de bon temps. Et à présent, nous allons finir nos vies à l’abri du besoin ». Tout se passe donc comme si ces petits vieux, loin d’être victimes, avaient gagné sur toute la ligne !
1 Commentaire
severy
24 mars 2020 à 11:33Pourriez pas m’passer l’adresse de la prison? J’paie ma cotisation au club et à moi la belle vie!