Diplomatie : Rome, le cheval de Troie de Xi Jinping en Europe ?

Avant des étapes à Monaco et en France, le Président Chinois Xi Jinping a fait la première visite d’Etat de sa tournée européenne en Italie, accompagné de 300 patrons d’affaires. En effet, Rome est devenue la première capitale du G7 à annoncer sa participation aux « Nouvelles routes de la soie », le projet phare de Pékin. Tout cela au grand dam de Bruxelles, Paris, Berlin et surtout de Washington, qui voient en ce projet le véhicule des ambitions géopolitiques chinoises, sans contrepartie pour les pays partenaires.

Avec des investissements d’une somme supérieure à 1000 milliards de $, Pékin cherche à améliorer les infrastructures reliant la Chine au reste de l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Depuis 2013, de nouvelles autoroutes, de nouvelles lignes ferroviaires, de nouveaux ports ont vu le jour grâce aux capitaux chinois. Evidemment l’objectif principal est économique. Il s’agit d’encourager et de fluidifier les échanges commerciaux en partance et en direction de l’Empire du Milieu.

Le discours officiel montre aussi une autre dimension au projet. Les nouvelles routes de la soie seraient la contribution chinoise au bien-être de la communauté internationale. Dans une tribune publiée dans le « Corriere della Sera » avant son arrivée à Rome, Xi Jinping expliquait ce qu’il attendait de sa coopération avec le gouvernement Italien :  » de garantir la paix dans le monde, la stabilité, le développement et la prospérité « . Un discours qui peut avoir une forte résonance alors que les Etats-Unis de Donald Trump multiplient les propos nationalistes et mesures protectionnistes.

Ce n’est aussi pas un hasard si les Etats-Unis et le continent américain dans son ensemble ne sont pas inclus. La participation de l’Italie dans le projet créé des divisions dans le bloc euro-atlantique, ce qui est bienvenu pour Pékin dans sa quête d’influence. Pour la coalition eurosceptique au pouvoir à Rome, l’attrait des investissements chinois dans un contexte de marasme économique est évident. Voici une occasion de rénover les infrastructures logistiques et industriels de la troisième économie européenne. Une économie où le secteur manufacturier représente un quart du PIB. C’est ainsi que le Premier Ministre Giuseppe Conte a vendu ce projet aux parlementaires italiens : « Nous allons augmenter nos exports vers un énorme marché ; nos entreprises auront l’opportunité de participer directement à d’importants nouveaux investissements en infrastructures […] notre péninsule, nos ports et nos pôles commerciaux ne seront pas abandonnés, ils profiteront d’avantages économiques.  » Selon le sous-secrétaire d’Etat au développement économique, le sinophile Michele Geraci, l’objectif est de hausser les exportations italiennes vers la Chine de 7 milliards d’euros.

Parmi les 29 projets qui viennent d’être signés, on trouve une ouverture du marché chinois aux agrumes de Sicile, une offre à l’opérateur de gaz naturel liquide Snam pour gérer des terminaux gaziers, avec financement du Silk Road Fund. Le groupe Danieli entre dans un consortium pour un complexe sidérurgique intégré en Azerbaïdjan. Eni, le groupe national d’hydrocarbures, va travailler avec la Banque de Chine dans des projets de transition énergétique, en Chine et en pays tiers…

Trieste, port historique du nord-est italien et porte d’entrée au continent européen, est souvent cité en exemple. Les Chinois pourraient améliorer la connectivité du port maritime en participant au projet « Trihub ». Un chantier de 200 millions d’euros qui raccorderait le port italien à une nouvelle ligne de fret ferroviaire en direction de l’Allemagne, et qui rénoverait aussi les chemins de fer régionaux en direction de l’Europe de l’Est. Les ports de Gênes, Ravenne et Palerme seraient aussi ouverts aux investissements de Pékin.

Signe du compromis : plus de dix projets avaient disparu, ceux les plus dérangeants pour l’Occident comme les fournitures de Huawei dans les télécoms en filière 5G, ou des investissements dans les satellites Leonardo.

Car le sujet divise au sein de la coalition entre le mouvement 5 étoiles et la Ligue du Nord. Surtout après la publication d’un exemplaire de memorandum d’accord dans la presse italienne et aussi après les vives critiques du conseil de sécurité nationale américain. Sur Twitter, l’agence étasunienne insiste :  » approuver les nouvelles routes de la soie rend légitime l’approche prédatrice de la Chine à l’investissement et n’apporte aucun bénéfice au peuple italien « . La Ligue du Nord, dont le leader est le vice Premier ministre Matteo Salvini, demande désormais des garanties plus solides. Les entreprises italiennes doivent absolument participer aux projets d’infrastructures.

L’inquiétude est aussi palpable au niveau européen, surtout chez les voisins français et allemands. Le gouvernement populiste à Rome serait-il le cheval de Troie de Xi Jinping en Europe ? Le sujet de la réciprocité est en avant-plan. Il est aujourd’hui plus facile aux entreprises chinoises de venir investir en Union Européenne que pour les entreprises européennes d’investir en Chine. Bruxelles s’inquiète aussi du manque de garanties de viabilité financière et environnementale ainsi que d’un manque de transparence des projets de la nouvelle route de la soie.

L’Union Européenne, tant bien que mal, essaie de former un front uni. Le 21 mars, Bruxelles a proposé 10 mesures pour rééquilibrer les relations économiques avec la deuxième puissance mondiale. Un partenaire commercial qui obtient aussi un label de  » rival systémique « . Parmi ces mesures, une vigilance renforcée sur la cyber-sécurité et une critique beaucoup plus ferme du modèle économique chinois et des programmes de subventions industrielles. L’UE se rapproche aussi d’une mesure pour limiter l’accès aux marchés publics aux compagnies venant de pays protectionnistes, soit un marché de près de 2400 milliards de $ par an. Pour avancer sur cet agenda politique commun, Emmanuel Macron a invité Angela Merkel et Jean-Claude Juncker à venir à Paris le 26 mars pour s’entretenir avec Xi Jinping, lors de la dernière journée de sa visite. Par Charles Pellegrin

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1 Commentaire
  1. severy

    Quel est encore le pays qui développa son infrastructure routière, son armement, sa capacité à transporter celui-ci dans les zones transfrontalières, et son système politique à parti unique dans les années trente? Le danger se présente avec le sourire et une belle bourse bien remplie qui attire les regards des nécessiteux prêts à vendre leur âme pour quelques écus.
    Certes, les forêts détruites et les autoroutes construites permettront un accès plus rapide vers les splendides démocraties d’Asie centrale et leurs mosquées pluricentenaires. Quelles ne sont pas les écoles qui organiseront pour leurs élèves fascinés des weekends de découverte de telle ou telle raffinerie azerbaïdjanaise, des séjours hebdomadaires dans tel camp de rééducation xinjiangais ou d’ateliers d’observation de la récolte des grenades dans les vallées escarpées du Turkménistan? Il suffira de rouler sur les autoroutes flambant neuf qui mèneront à l’empire du nord-ouest – à propos, ces autoroutes seront-elles payantes et à qui ira l’argent ainsi acquis? Bon Dieu! Avec un peu de chance, il suffira de prendre une bifurcation pour se retrouver en Corée du nord, le paradis sur terre.
    Blague à part, je donnerais fort pour savoir quelle est le fond de la pensée des dirigeants chinois. Sont-ils sincères et ne veulent-ils que créer un gigantesque marché mondial basé sur l’échange équilibré des marchandises, créer la possibilité pour les populations d’Asie et d’Europe de se déplacer, s’observer, mieux se connaître et se comprendre, une véritable communauté eurasienne basée sur le libre-échange de l’information, de la culture, des systèmes de croyances et des biens et services? Nous sommes en pleine utopie. Il n’est pas interdit de rêver mais le réveil risque d’être dur si le fond de la pensée en question est différent. Ah! Nostradamus, que n’eussiez-vous été plus clair…

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