En Chine du 20 au 26 mars, le Premier Ministre du Népal KP. Sharma Oli arrivait avec de grands espoirs pour son pays, vu la myriade d’offres préparée par son hôte. Le Népal est pour la Chine une nouvelle frontière. Ce petit Etat himalayen, parmi les plus pauvres du monde, totalement enclavé, est jusqu’ici dépendant de l’Inde. Mais la Chine pourrait, tout en développant le Népal, se servir du pays comme base arrière et tremplin pour le marché indien.
Li Keqiang proposa jusqu’à 1,8 million de tonnes de pétrole (33% des besoins), un terminal pétrolier sur sol népalais et une coopération en exploration d’hydrocarbures. Il offrit aussi deux lignes ferrées (Est-Ouest, et Nord-Sud vers la Chine), et le port Canton pour délester celui de Calcutta, engorgé. Le tout serait couronné par un traité de libre-échange. Toutes ces offres font hausser les sourcils, vu le relief montagneux et les 3000 km de routes souvent mauvaises jusqu’à Canton. Mais la technologie et l’investissement chinois peuvent « déplacer les montagnes »…
Autres négociations régionales : le 23 mars, se tenait à Hainan le 1er sommet du Mékong, entre Chine et autres pays riverains (Birmanie, Laos, Thaïlande, Cambodge, Vietnam).
Il s’agissait de relancer des liens abîmés par divers contentieux.
Sur ce fleuve issu du Tibet, la Chine a lancé des barrages sans l’accord des voisins en aval, qui souffrent à présent de sécheresse…
La Birmanie a gelé le chantier chinois du barrage de Myitsone (3,6 milliards de $), essentiellement par rejet des populations locales…
Le Vietnam s’irrite de la percée chinoise en mer de Chine du Sud…
Le Laos voit sur sa route Chine-Thaïlande, des agressions contre le trafic chinois en transit…
Cependant pour amadouer ses hôtes, la Chine avait libéré le flux du Mékong pour 25 jours, et apportait 10 milliards d’€ en prêts et dons pour projets industriels ou sociaux. Parmi ceux-ci figuraient deux lignes ferroviaires via Laos et Thaïlande, devant à l’avenir relier Singapour.
Surtout, comme pour le Népal, la Chine cherchait à lier ses voisins en une plateforme de coopération, via le concept mi-commercial, mi-diplomatique de « Une ceinture, une route ».
Un paramètre vital était bien présent, clé de toutes les relations dans la région—le contrôle de l’eau : le sommet convint de créer un centre de la ressource aquatique, afin de réguler la planification et la gestion des barrages, contre les crues, et les sécheresses du fleuve commun.
Cependant, pour bonifier et positiver les relations régionales, la Chine devra faire bien plus : reste le toujours plus lourd contentieux en mer de Chine du Sud. L’incident survenu au large des îles Natuna (Indonésie) marque peut-être un tournant dans ce conflit international (cf carte).
Détectant un chalutier chinois dans sa Zone Exclusive Economique (à moins de 200 milles de ses côtes, selon la Charte de l’ONU du droit de la mer), un garde-côte indonésien l’arraisonnait le 20 mars, emprisonnant à son bord 8 des 32 marins et le tractant vers un port de la côte. Mais en route, dans ses eaux, il était attaqué par un aviso chinois qui libérait le chalutier, au mépris de sa souveraineté. Ensuite, Pékin l’accuserait d’avoir « molesté » son chalutier dans une « zone de pêche traditionnelle ».
Jusqu’alors J. Widodo le Président indonésien cherchait à éviter tout conflit avec Pékin, à « ramer entre les deux récifs » chinois et américain, à équidistance entre eux.
Mais cette fois, il a dû changer de position, forcé par son opinion. Susi Pudjiastuti, la ministre de la Pêche, a convoqué un chargé d’affaires de Chine, l’accusant d’avoir « saboté » l’effort de son pays, d’accommodement avec les six parties en litige : Vietnam, Malaisie, Indonésie, Philippines, Taiwan et Brunei.
Cette explosion de colère, selon les sources, était aussi due à une vision plus claire, depuis Jakarta, des intentions chinoises : l’occupation d’atolls dans les Spratley, l’installation de missiles dans les Paracels, le blocus de pêcheurs philippins en route vers l’atoll Scarborough, et cette non reconnaissance des eaux territoriales indonésiennes…
On voit donc ici l’Indonésie, ce pays de 250 millions d’âmes, (le plus grand pays de l’ASEAN, et du monde islamique) s’arracher à sa passivité habituelle pour dénoncer Pékin. Fait inouï : quelques heures après l’incident, un haut cadre chinois appela Jakarta pour « supplier » de taire le clash, entre « régimes amis ». Ce fut refusé, car l’Indonésie, ici, a trop à perdre, à savoir le rêve de Widodo : faire de son pays une puissance « pivot » maritime, en faisant respecter sa loi sur son immense territoire marin autour de ses 17.000 îles.
A présent, Widodo doit choisir :
– porter plainte, comme Mme Pudjiastuti l’a menacé, auprès de la cour de la Haye (les Philippines l’ont déjà fait, et le Japon l’envisage),
– renforcer sa défense maritime avec l’aide de l’Inde, l’Australie, le Japon,
– ou enterrer l’incident, au risque d’une forte baisse de popularité, et sans garantie que la Chine respecte davantage son patrimoine maritime.
On en est là : le fléau de la balance peut retomber en les deux sens. Les diplomaties de toute la région travaillent jour et nuit, chauffées à blanc.
Enfin, si l’Indonésie insiste dans la défense de ses droits, la marine de l’APL pourra peut-être avoir l’impression d’avoir reproduit sans le vouloir, le remake du célèbre scénario de l’US-Army en l’Allemagne de 1944 : d’avoir franchi « un pont trop loin ».
Sommaire N° 12 (2016)