Petit Peuple : Yushutun (Heilongjiang) – David contre Goliath (2ème partie)

Pour défendre son village de Yushutun contre la pollution du groupe pétrochimique Qihua, Wang Enlin étudia le droit pendant 16 ans…

En 2004, après trois ans passés à déchiffrer les ouvrages de droit tombant entre ses mains, ce fermier tout sauf bête et animé par la rage contre l’injustice, trouvait la faille légale dans la muraille du formidable adversaire : un district ne pouvait louer plus de 20% d’hectare de biens communaux. Le prêt régalien signé à Qihua en 2001, 100 hectares communaux pour 27 ans, était donc caduc. Wang détecta d’autres fautes tout aussi prometteuses. Qihua avait enfreint la loi en omettant d’imperméabiliser le bassin d’épandage, permettant ainsi aux déversements d’empoisonner le terroir du village et la nappe phréatique.

Wang multiplia les plaintes aux niveaux local, provincial, national, auprès des bureaux du Sol, de l’Environnement, de l’Agriculture ; il écrivit aux Commissions de discipline du Parti, aux tribunaux de base et intermédiaires. Durant 5 ans il s’épuisa à guerroyer sans rien obtenir, pas même d’être reçu pour plaider sa cause. Tel Don Quichotte face aux moulins, il allait d’échec en échec : ses courriers en mauvais chinois passaient invariablement au classement vertical. Fétu de paille face à l’establishment, Wang ne représentait que lui-même, David contre Goliath.

Il s’acharnait pourtant—faute d’alternative. Au fil des années, ses récoltes baissaient, celles des voisins aussi. Le sorgho jaunissait, les poules faisaient la grève des œufs. Wang voyait aussi sa santé baisser : à l’hôpital de Qiqihar, il était soigné d’un début de tuberculose…

 Tout changea en mars 2007, à la visite des cadres du Centre d’aide aux victimes de pollution, ONG pékinoise créée deux ans plus tôt par un groupe d’avocats. Pour les deux parties, la rencontre s’avéra inespérée. En dépit de ses efforts, le Centre ne trouvait pas en Chine de plaignants prêts à aller ester en justice. Intimidées par ces collusions de barons rouges politiques et industriels, les victimes de pollution, paysans, résidents ou PME, renonçaient à porter plainte. Mais voilà qu’à Yushutun, ils avaient enfin un cas, Wang Enlin qui promettait de tenter le pari et de se battre jusqu’à la mort… Eblouis par tant de courage, ils résolurent de défendre cette communauté paysanne quoiqu’il leur en coûte. Pour Wang, ce fut le jour la remontée de l’enfer !

La première action des juristes volontaires du Centre fut d’évaluer la nuisance des effluents industriels de Qihua. Ils filmèrent les collines de sel séché sous le soleil, les reflets mordorés du lac croupissant. Forçant les cadres, à les rencontrer, ils enregistrèrent leur argumentation laborieuse, leur prétention à l’absence de tout préjudice à la communauté villageoise. Ils aidèrent aussi Wang à rédiger désormais ses plaintes dans un langage juridique, sur les bons formulaires, « dans les clous ».

Depuis 2003, avec ses maigres connaissances en droit, Wang défendait ses voisins contre les appétits fonciers des notables – sauvant la mise à ses amis une dizaine de fois. De ce fait, parmi les apparatchiks, il ne faisait depuis belle lurette plus rire personne. De 2008 à 2014, il fut 5 fois trainé en prison sous des délits spécieux comme celui de « détruire la prairie » en cultivant ses propres lopins—que la mairie, Dieu seul sait pourquoi, avait reclassifiée comme pâturage quelques années en arrière. Averti, le Centre n’avait aucun mal à le faire sortir, démontrant bien viste l’aspect dilatoire du chef d’accusation. Le but des accusateurs –briser Wang– ne fut bien sûr jamais atteint.

Wang recueillit les premiers fruits de sa croisade en 2012. La cour de Mudangjiang au Heilongjiang (où Pékin avait déplacé le procès, pour en finir avec la collusion entre Qihua et les juges de Qiqihar) – condamna la firme à 300.000 ¥ de dommages, et à « remettre en conformité » sa licence. Choqué, mais confiant en les appuis politiques de sa maison-mère, SinoChem, Qihua ignora le verdict et poursuivit ses déversements.

La filiale dut s’arracher à sa passivité en avril 2014 : suite à l’injonction du bureau provincial de l’Environnement, lui-même activé par un ordre du ministre en personne, un test fut procédé, sur les terres du dépôt et des champs vicinaux. Il détecta un taux de mercure de 1,6 mg/kg (près du décuple du plafond légal), et une acidité des eaux un PH de 9,2… Dès lors pour Qihua, le torchon brûlait !

Au 1er janvier 2015, la loi révisée de l’Environnement permit au Centre de se porter partie civile aux côtés des habitants. Ainsi, le tribunal local et la cour intermédiaire, qui depuis 2001, reportaient studieusement l’instruction des plaintes déposées par le comité villageois, n’eurent d’autre option que de les enregistrer.

Un jour, débarqua un reporter du Journal de la loi, suivi d’une équipe de la CCTV. Un déluge de médias enhardis leur succéda, qui se mirent à bombarder l’opinion. L’administration dut se mettre au travail pour désamorcer ce cas désagréable, potentiellement déstabilisateur.

En février 2017, la logique l’emporta : Qihua fut condamné à verser 820.000 yuans aux 55 familles victimes, et à réhabiliter les terroirs contaminés. Le coût dépassera immensément le montant du dédommagement accordé : Qihua devra faire tourner pendant des mois des norias de bulldozers et camions, pour renouveler des milliers de mètres cubes de terre souillée. C’est un verdict-choc : pour la première fois dans l’histoire, un petit paysan a fait ployer l’échine à un géant industriel national !

SinoChem bien sûr a fait appel. Mais Wang Enlin ne doute de rien. Après 16 ans, 12 mois de plus ou de moins ne changent rien. Comme dit le dicton, face au vice, la vertu finit toujours par triompher : xié bù dízhèng (邪不敌正) !

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