Le temps n’est pas si loin (2005) où le Congrès américain pouvait bloquer le rachat d’une des « sept sœurs » pétrolières (Unocal) par son concurrent chinois (Sinopec). Mais les choses changent : Anbang, assurance automobile fondée en 2004 avec 60 millions de $ d’actifs, put racheter en 2015 (2 milliards de $) le Waldorf Astoria de New York, sans que nul n’y trouve à redire. En mars 2016, Anbang récidive, rachetant à Blackstone (6,5 milliards) ses Strategic Hotels & Resorts, 16 maisons de luxe d’Amérique du Nord. Le 14 mars, il contre (à 12,8 milliards) l’offre de Mariott pour le rachat de Starwoods, navire amiral de l’hôtellerie du Nouveau Monde ( Sheraton, Westin, St Regis, Ritz Carlton…)
Le 16 mars, il reçoit encore le feu vert pour reprendre pour 1,6 milliard de $, les assurances Fidelity & Garanty et US Annuities. Pour tous ces deals conclus ou sur la table, il aura dépensé 20 milliards de $.Son immense fortune est estimée à 123 milliards de $. Il possède en Corée du Sud Tongyang Life, des tours à Toronto et Vancouver, d’autres intérêts en Belgique, et en Chine, des parts dans China Merchants, ICBC et Mincheng Bank, 6 assureurs, 2 gestionnaires de fortune, un groupe de leasing, un développeur foncier… Son intérêt pour les hôtels haut de gamme s’explique facilement : à l’heure où la Chine voit son économie ralentir, les Chinois huppés voyagent de plus en plus à l’étranger. Le moment est donc idéal pour Anbang pour sécuriser ses fonds à l’étranger, dans un secteur en pleine expansion.
Wu Xiaohui, le deus-ex-machina d’Anbang, est un personnage typique du capitalisme chinois : époux d’une petite-fille de Deng Xiaoping, il a aussi des liens familiaux avec Chen Yi, co-fondateur de l’Armée populaire de Libération, ainsi qu’avec Zhu Rongji, l’ex-Premier ministre. Il est donc la quintessence de la « hong erdai », « seconde génération rouge ». Ainsi, le Gotha du capital socialiste se bat pour le privilège d’investir dans Anbang. Parmi ses partenaires figurent SAIC (les automobiles shanghaiennes), Fosun, Sinochem. En retour, il leur offre des participations dans ses achats hors frontières. En « chevalier d’industrie », il négocie lui-même ses contrats, à la tête de ses troupes—c’est le style de son pays.
Cette stratégie rappelle celle développée par Jack Ma (patron d’Alibaba) avec ses amis milliardaires pour l’achat de châteaux bordelais. Chaque château donne à l’acquéreur une « touche française », bonne pour son image, mais aussi des perspectives inaccessibles aux châtelains français : les 30 châteaux qu’ils veulent acquérir en 18 mois auront leur vin vinifié en commun, exporté vers la Chine et vendu au prix fort sous leur label.
Sommaire N° 11 (2016)