La crise explosa le 11 mars, à Shuangyashan (Heilongjiang), à la frontière sibérienne : les 80.000 gueules noires des mines Longmay apprenaient que sur 240.000 employés que comptait l’entreprise, elle en licencierait 100.000. C’était un drame insupportable, le gagne-pain de toute la ville qui coulait. On vit ce jour-là des milliers de mineurs bravant les ordres, arpenter les artères, brandissant à bout de bras des banderoles aux slogans forts : « nous voulons survivre », ou « le PCC nous doit de l’argent ! ».
À Pékin lors d’un débat à l’ANP, le gouverneur provincial Lu Hao n’avait rien fait pour apaiser la colère, en prétendant que « tous les salaires avaient été versés ». C’était faux, comme il le reconnaîtrait deux jours après. Des milliers d’employés attendaient leur chèque depuis 4 mois, et d’autres avaient reçu des paies amputées de 10% à 70%.
Les manifestations se poursuivirent trois jours. Le quatrième, les brigades d’intervention débarquèrent en masse, bloquant les axes. Les meneurs avaient été arrêtés dans la nuit, et des crédits étaient acheminés en catastrophe depuis Pékin pour payer des arriérés – à ce prix, le mouvement s’arrêta net. Mais bien sûr, rien n’était réglé, ni à Shuangyashan, ni ailleurs, car cette ville minière est loin d’être la seule en crise. Les jours précédents, les marches se multipliaient à Canton (Sud), au Shanxi (Centre), à Jilin (Nord-Est), dans des charbonnages, aciéries ou groupes chimiques.
La courbe des conflits s’élève dangereusement : 1300 manifs en 2014, 2700 en 2015, 500 rien qu’en janvier 2016. A ce train, l’année devrait connaître 6000 conflits sociaux, soit plus du quadruple d’il y a deux ans. Partout, c’est la même histoire de salaires tronqués de moitié, d’horaires rallongés, d’usines fermées…
Le cas de Longmay est typique d’une crise « à la chinoise », prévisible depuis des lustres. Après 40 ans d’exploitation, ses 42 mines sont en fin de cycle : pour extraire 1000 tonnes, il faut désormais 4,8 employés, le triple de la moyenne nationale. Pour les conglomérats, le problème est systémique, et insoluble, obligés de se concurrencer de province à province, de conserver des armées d’employés inactifs, et de se fournir les uns les autres à bas prix (acier, charbon, énergie)… Suivant ce modèle, ils dépendent pour survivre des subventions, et n’ont pas les moyens de se moderniser. Autre effet néfaste, ils produisent « à l’aveugle », beaucoup trop, cassant les cours : leurs 3700 milliards de tonnes de houille par an, suffiraient à la demande mondiale ! Ainsi, même si les mines n’étaient pas épuisées, elles seraient en quasi-faillite, ayant créé une surproduction fatale.
Le 14 mars encore, le Président Xi Jinping se renseigna sur l’état de la crise de Longmay, et recommanda à l’entreprise de « suivre le marché ». Désormais, l’ère des subventions en « tonneaux sans fond » est terminée, et les « canards boiteux » (les « groupes zombie ») doivent disparaître pour laisser les crédits publics aller aux industries nouvelles.
Le Premier ministre Li Keqiang, annonça son grand plan début mars : 1,8 million d’emplois devraient disparaître, « et la Chine avec son dynamisme, n’aurait aucune difficulté à les recaser ». Ceci est loin d’être admis par tous : l’expert Louis Kuijs, d’Oxford Analytica (Hong Kong) croit au contraire très difficile de recycler un métallo ou un mineur dans les taxis, ou pire encore, dans les services. Et surtout, le compte n’est pas juste : vu les 25.000 milliards d’euros de dettes des entreprises d’Etat, ce sont 60 millions d’emplois qu’il faudrait éliminer pour assainir le marché. Un tel nettoyage, si l’Etat veut éviter l’explosion sociale, doit s’étaler sur des décennies !
Pour l’heure, le sujet est censuré dans la presse : c’est que pour ce régime fier de sa tradition ouvrière, la vague de fermetures qui débute, signifie une sévère perte de légitimité auprès des travailleurs, normalement leur soutien le plus ferme. Dès maintenant à Canton, les grévistes chantent l’hymne national et retournent contre le régime la strophe révolutionnaire : « debout, debout, nous qui refusons l’esclavage » !
Aussi, un bras de fer démarre entre l’Etat, avec ses organisations de contrôle des masses, et le syndicalisme libre, interdit mais que Pékin ne peut plus empêcher. Dans les usines, des employés déterminés se forment seuls sur internet à défendre leurs droits. Les ouvriers ont tous un smartphone, et la plateforme sociale WeChat permet de véhiculer informations et mots d’ordre : des clips de grèves et de marches circulent. Longtemps tolérantes, les autorités locales exaspérées redoublent de fermeté : à Canton en décembre, Zeng Feiyang, un des syndicalistes les plus en vue a été arrêté, puis accusé de fréquenter des prostituées et d’être soutenu depuis l’étranger.
En désespoir de cause, l’Etat pense trouver la panacée, en regroupant ses consortia en super géants mondiaux. À l’ANP le 12 mars, Xiao Yaqing, président de la SASAC (tutelle des consortia) réitéra la nouvelle religion : « plus de fusions, c’est moins de faillites et moins de conflits commerciaux ».
Peut-être, mais probablement pas plus de succès commercial, si l’on en croit l’expérience de Longmay. Dix ans en arrière au Heilongjiang, le groupe naissait de la fusion de quatre mines publiques en difficulté. Aujourd’hui, cette concentration apparaît un échec manifeste. Le succès aurait pu être à portée, en écartant alors son surplus de salariés et en fermant les mines non rentables. Avec les milliards de yuans épargnés en 10 ans (ceux des salaires non versés, et ceux des subventions), le groupe aurait pu s’engager sur une nouvelle voie…
Louis Kuijs résume le défi à venir : « les provinces dépendantes de la mine et de l’industrie lourde… vont souffrir ». Et le PCC, lui, aura à faire face à des problèmes sociaux.
Sommaire N° 11 (2016)