Le Plenum parlementaire qui vient de s’achever, précède de 18 mois le XIXème Congrès du Parti, qui renouvellera les cadres des organes dirigeants pour le second quinquennat de Xi Jinping. L’actuel Comité Permanent (7 membres) se caractérise par une majorité de vieux compagnons de Jiang Zemin. Le Congrès de 2017 les poussera à la retraite, laissant place à une relève de cadres plus jeunes.
Les premiers trois ans et demi de règne de Xi ont été marquées par un durcissement inédit de la gouvernance du Parti, en toutes directions. Les dissidents et les confessions religieuses, les média et l’enseignement, l’armée et le Parti, ont tous été l’objets de campagnes de rectification, souvent ponctuées d’arrestations. Sous le délit de corruption, 750.000 cadres de l’Etat ont été punis en trois ans, dont 280.000 rien qu’en 2015.
D’où la question : pourquoi un tel durcissement ? Et qui en définitive est Xi Jinping ? Que veut-il ? Est-il seul dans ces choix, ou bien soutenu par le sommet de l’appareil ? Trois interprétations se disputent la scène :
Une lutte pour sa survie politique
Contrairement à ses prédécesseurs, Xi est le premier leader arrivé à la tête du pays sans la légitimité historique d’un adoubement par Deng Xiaoping. Ceci peut expliquer le choix, à l’inverse de Hu Jintao et Jiang Zemin, de se créer une base de soutien composée principalement de ses amis et d’hommes rencontrés au long de sa carrière. Nous consacrerons une page la semaine prochaine à cette « garde rapprochée ».
Ce choix trahit l’impératif vécu comme vital par le chef de l’Etat (plus que pour ses prédécesseurs), de loyauté de ses lieutenants, et même de tous apparatchiks, à tous les niveaux de l’appareil. En mars, il vient de réitérer l’ordre d’obéir à ses directives sans délai ni dérive, et de préserver l’unité du Parti. En effet, en 2012, au moment d’accéder au poste auquel il était promu, Xi s’est retrouvé très sérieusement contesté par Bo Xilai et Zhou Yongkang, au point de risquer sa position dans les mois précédant son intronisation. Cet épisode peut avoir convaincu Xi de concentrer dès que possible tous les attributs du pouvoir (Etat, Parti et Armée) entre ses mains. Pour ce faire, il a créé des « Commissions centrales » mordant sur les pouvoirs du Comité Central et du Conseil d’Etat et placé ses hommes aux postes-clés des autres instances…
Le premier visage est donc celui d’un homme seul, luttant pour sa survie politique.
Une fidélité de classe
Une deuxième lecture part de la « hong erdai », la « seconde génération rouge » à laquelle Xi appartient. Enfants des grandes familles révolutionnaires, se connaissant tous depuis leur jeunesse derrière les « murs rouges » de Zhongnanhai, ces 1000 à 2000 cadres tous puissants défendent leurs intérêts en un club très fermé. Quoique parfois de sensibilités politiques différentes, ils sont unanimes dans la défense de leurs privilèges, et se positionnent contre toute atteinte au droit du crédit, au droit du sol, au protectionnisme industriel et aux monopoles militaires. Ainsi, le régime a fait arrêter de nombreux « tigres » (hauts cadres corrompus), mais aucun « hong erdai » !
Le second visage de Xi est donc celui d’un homme habité par une fidélité de classe, dans la défense de privilèges.
Un mandat du Parti
Kerry Brown, expert sinologue au King’s College de Londres, prend du recul pour voir les choses dans leur complexité.
L’apparence, sur laquelle se concentrent les média occidentaux, est celle d’un homme en train de conquérir tous les pouvoirs à des fins personnelles, et d’écarter ses ennemis sous prétexte de corruption.
Mais pour Brown, cette vision est trompeuse, car elle ignore la présence et la réaction des autres membres de ce pouvoir collégial : or, au Bureau Politique (25 membres), les collègues de Xi restent silencieux… Et pourtant, le scénario d’un autocrate forçant le pays à son propre culte, a déjà été joué avec Mao. Le Parti a failli disparaître à l’époque, et s’est juré de ne jamais retourner à telle catastrophe, mais de s’astreindre toujours à une gouvernance collective. Brown note aussi que « presque » toutes les prises de positions publiques de Xi Jinping se font au nom du Parti et en son intérêt.
Le dernier visage de Xi Jinping, selon cet analyste, est donc celui d’un homme en charge d’une mission pour le PCC, exécutant un mandat : soigner la corruption, la pollution et l’hyper libéralisme qui menacent le pays d’explosion, exécuter les grandes réformes sociétales préparées et annoncées de longue date par son n°2 Li Keqiang (taxation, propriété foncière, convertibilité, gestion des conglomérats, crédit « vert », accueil en ville et dotation de 200 millions de migrants…).
La conclusion est déroutante : ces trois visages sont tous plausibles. Mais, ce qui frappe le plus, en définitive, est que loin d’être contradictoires, ces trois visages pourraient s’avérer complémentaires.
Sommaire N° 11 (2016)