À Chengdu (Sichuan) en 1985 naquit Chen Gang, d’une famille bourgeoise. Fils unique, il passa une enfance heureuse—mais ne brilla jamais aux études, malgré les efforts répétés de ses parents qui se relayaient pour l’aider à ses devoirs, mais rien à faire, Chen avait un poil dans la main et était plus intéressé par son apparence que par ses leçons.
Ainsi, il avait eu tôt fait de prendre de mauvaises habitudes. Chaque matin était un véritable rituel : il passait des heures devant le miroir à faire sa toilette, se coiffer, enfiler son uniforme bien repassé, lacer soigneusement ses brodequins de sport en cuir, qu’il avait longuement ciré et briqué… Invariablement, il arrivait en retard en classe, et de ce fait, ne manquait jamais de se faire remarquer en entrant dans la salle, sous les remontrances du professeur. Mais son audace et son sourire, en traversant l’espace pour gagner sa place, mettait les rieurs de son côté. Il était devenu la mascotte de sa classe !
Le week-end était synonyme de liberté pour Chen qui prenait alors plaisir à composer sa tenue selon son humeur, les saisons… Il assortissait pantalon, blazer, chemise, parfois un foulard qui lui donnait un air « langman », romantique. Il atteignait toujours le but visé : dans la rue, les filles se retournaient sur son passage et les garçons ricanaient.
En 2003, il obtint un score passable au gaokao (bac), et fit ensuite une licence de sciences éco dans une université de Chengdu, pour ressortir en 2006 diplômé sans gloire, rejoignant les cohortes de jeunes chômeurs.
En attendant qu’il trouve un emploi, ses parents et sa famille lui versaient un petit pécule – somme qu’il dépensait… en vêtements ! Ainsi, Chen, en toutes circonstances, restait l’arbitre des élégances et son style classique, légèrement bobo, lui ouvrait les portes des cercles huppés. Il menait donc vie nocturne joyeuse, négligeant de hanter les foires à l’emploi comme ses amis, et se ronger les sangs à écrire et émettre des masses de courriels avec CV sur internet…
Un soir de janvier 2010, sirotant un cocktail dans un bar à la mode, tuant le temps avec des amis, il sentit un regard insistant, de la table voisine. Lui jetant un coup d’œil courroucé, il fut étonné de la voir répondre par un sourire de miel, et plus encore, quand elle se leva pour venir le rejoindre, se présenter avec charme léger, s’asseoir à sa table sans faire le moindre cas des copains médusés.
Un peu désarçonné, Chen fut tenté de la remettre à sa place. Mais quelque chose dans son style le retint. D’une manière ou d’une autre, cette fille portait en elle un mystère… il se radoucit, et écouta Xiaohua – tel était le prénom auquel répondait la donzelle. Bientôt les copains, un rien sarcastiques, se levèrent, le laissant bavarder…
Originaire d’un hameau du Yunnan, elle devait retourner chez ses parents pour le Chunjie, nouvel an lunaire qui passait sous le signe du Tigre. A 25 ans, elle adorait son existence dans les métiers du cinéma – elle assistait aux tournages pour une maison de production de séries TV. Sa vie était un rêve, payée à imaginer des prises de vue, à réécrire à tout moment des bouts de scénario. Plus d’une fois, elle avait remplacé des actrices au pied levé, pour un bout de rôle qu’elle apprenait sur le tas.
Cette Bohème l’enchantait : pas de mari à nourrir, ni d’enfants à élever, ni de patron ni d’horaires fixes… Mais un bon salaire, et des collègues qui étaient aussi copains, et amants parfois. Elle n’avait pas encore rencontré l’homme de sa vie et ne s’en souciait guère. Xiaohua ne s’envisageait pas d’autre avenir, ne souhaitant que garder son éternel présent.
Mais voilà que ses parents, au village, se fâchaient à la longue, la sommaient de se marier !
Quand eux-mêmes s’étaient mariés, ils n’avaient eu droit qu’à une seule enfant – Xiaohua, sur laquelle ils avaient reporté toute leur affection et tous leurs espoirs. Désormais vieux, ils attendaient son soutien matériel. Et surtout, ils exigeaient un petit-fils ! C’était non-négociable, pour leur permettre d’accepter la perspective de leur disparition inéluctable : elle avait le devoir d’éviter que la fin de leur vie, et de la sienne propre, marque également la fin de la lignée.
Cela faisait trois « Chunjie » qu’ils l’assommaient de leur requête discrète, puis nerveuse, et finalement comminatoire : « ne reviens plus sans fiancé ! ». À la dernière rencontre, par lassitude, elle avait fini par promettre de se conformer à leur désir. Pire, par téléphone, elle s’était enferrée à plusieurs reprises, donnant des nouvelles d’un flirt imaginé. Or le départ, c’était pour dans 15 jours et Xiaohua était au pied du mur…
Déjà 3h du matin, le bar allait fermer ! Chen, intrigué par la personnalité de Xiaohua, s’attendait à ce que cette dernière lui propose de la raccompagner chez elle…Il tomba des nues lorsqu’elle lui dévoila la véritable raison de sa démarche : elle avait abordé Chen avec une idée derrière la tête (醉翁之意不在酒, zuìwēng zhīyì bù zài jiǔ, « celui qui boit, ne le fait pas toujours par amour de l’alcool »).
Quelle proposition allait-elle faire à Chen, qui aller changer son destin de chômeur oisif ? On le saura la semaine prochaine !
Sommaire N° 11 (2016)