La bataille fait rage entre Corée du Sud, Chine et USA pour le marché des semi-conducteurs, capables de stocker des données, de les gérer ou de les sécuriser. En 20 ans, la recherche a décuplé leur capacité de stockage, leur vitesse, a réduit leur taille à quelques dizaines de microns, et leur coût de production à 1,3$/pièce.
La Chine investit massivement pour devenir n°1—position détenue par la Corée du Sud (Samsung). Sur les 430 milliards de $ du marché global attendu en 2018, la Chine en consommera 200 milliards, dont 100 importés. Pour y remédier, elle construit des dizaines d’usines, avec l’objectif de porter sa capacité d’ici 2021 à 660.000 WPM (« gaufres » par mois, chaque gaufre signifiant, une fois débitée, des millions de microscopiques transistors à haute capacité). Trois groupes d’Etat (Jinhua, Innotron et YMTC) annoncent des créations d’usines de semi-conducteurs pour 55 milliards de $, presque à 100% publics (fonds des provinces, de l’Université Tsinghua et prêts de la banque CDB).
Or, la capacité annoncée dépasse largement la demande mondiale, ce qui promet un effondrement des cours, et la fermeture des groupes les plus faibles – voire l’élimination de toute concurrence extérieure, comme l’industrie chinoise l’a réalisé dans le secteur des panneaux solaires.
Mais cette stratégie peut-elle réussir ? Bernstein Research en doute, et voit la vingtaine de groupes chinois perdre en dix ans 31 milliards de $, et encore, sous condition qu’ils réduisent de moitié leurs projets de montée en capacité. S’ils insistaient sur leurs objectifs actuels, ils essuieraient d’ici 2028 jusqu’à 249 milliards de $ de pertes de fonctionnement—un montant que même la Chine ne peut se permettre de griller en vain. Jimmy Goodrich, de la Global Policy Semiconductors Association, renchérit : des trois ténors cités plus haut, un seul devrait survivre à la concurrence mondiale.
Une des raisons aux pertes annoncées est la vulnérabilité des groupes chinois sous l’angle du design, face aux compétences accessibles en Corée et aux USA. Faute de talents en suffisance, la Chine doit soit débaucher chez la concurrence, soit s’approprier les modèles – pas toujours légalement. Un procès à Taiwan vient d’établir que certains modèles chinois avaient été dérobés au groupe insulaire Micron. Autre difficulté, la Chine ne peut espérer chasser du marché la Corée du Sud ou les USA : en 2017, rien qu’en semi-conducteurs « mémoires », Samsung investissait 26 milliards de $, dont 7,2 milliards à Xi’an (Shaanxi).
Le bras de fer est donc lancé, avec une Chine en retard technologique mais disposant de moyens financiers illimités. Toute la question est de savoir si cette industrie née d’une décision politique au sommet, peut gagner son pari de renverser la concurrence. Si tel ne devait pas être le cas, les pertes pour la Chine, en dizaines ou centaines de milliards de $, se paieraient en développement futur.
1 Commentaire
severy
24 mars 2018 à 20:07Une telle production de gaufres se justifie peut-être par la nécessité de mémoriser les moindres faits et gestes de la population chinoise et des visiteurs étrangers qu’il convient de surveiller très étroitement. L’espionnage et le contrôle de ces centaines de millions d’individus suscite en effet une croissance exponentielle des moyens de stockage (et d’analyse) des données obtenues par l’utilisation de logiciels espions sans cesse améliorés. Il faut bien que le Parti puisse tirer parti des nouvelles technologies dont le pays est si friand s’il tient à se maintenir au pouvoir…