Lors de l’ANP, comme lors du 1er quinquennat de Xi Jinping, un sujet est resté en coulisses : le problème de l’eau. Dix ans plus tôt pourtant, le 1er ministre Wen Jiabao n’hésitait pas à présenter la pénurie notoire comme une « menace à la survie de la nation ».
Les hydrologistes décrivent l’état de « pénurie aigüe » comme un accès par habitant à moins de 500 m3 d’eau par an. Or selon cette définition, 8 provinces du Nord chinois sont en pénurie aigüe, et 4 en pénurie « simple » (moins de 1000 m3 par habitant, par an). Ce qui n’empêche ces contrées semi-désertiques de fournir 38% du blé, riz ou maïs du pays, 50% de son électricité, 46% de son industrie et d’abriter 41% de sa population—en pompant toujours plus profond dans leurs nappes phréatiques…
Le triangle Pékin-Tianjin-Hebei est l’épicentre : sur la surface de deux Autriche, 112 millions d’humains assèchent en un siècle des réserves non renouvelables, accumulées en des millions d’années.
Au plan national, le constat est également inquiétant. 28.000 cours d’eau ont disparu. Le Fleuve Jaune, certaines années, n’atteint pas la mer. Les rivières qui restent sont polluées. En 2017, 8,8% du réseau aquatique était impropre à tout usage. La table aquifère baisse de 1 à 3 mètres par an. Frappé de subsidence, Pékin baisse par endroit de 11cm par an. Zhengzhou (Henan, 10 millions habitants) doit renoncer à l’arrivée de 3- 4 millions de migrants d’ici 2020 : ses 7 stations d’épuration neuves n’ont d’eau à recycler que pour en faire tourner une seule !
Dans ces conditions, la raison pour l’Etat de garder le silence sur ce problème majeur, pourrait être stratégique : avant de prendre les mesures douloureuses, le régime doit mettre en place une gouvernance autoritaire afin d’être sûr de pouvoir les appliquer, le moment venu.
Car face à la gouvernance de l’eau, le plan quinquennal (2018-2023) dévoile des objectifs en fait fort audacieux, visant (par rapport à 2010) une consommation divisée par deux, pour un PIB doublé. Un tel résultat ne peut être atteint qu’en renouvelant systématiquement les réseaux d’adduction (qui perdent notoirement la moitié de la ressource), et en faisant passer l’industrie, l’agriculture, et l’usage domestique à des technologies moins gourmandes en eau. Ce qui serait passer à une économie « chameau ».
Mais, problème majeur, les chantiers pharaoniques conçus 20 ans en arrière, promettent déjà d’être inopérants. Avec deux branches central et orientale, le canal Sud-Nord, après avoir coûté 80 milliards de $ (plus cher projet de l’histoire humaine) pour transférer 25 milliards de m3/an du Yangtzé au Fleuve Jaune, ne suffira pas à arracher le triangle Pékin-Tianjin-Hebei à sa « pénurie aigüe » – d’autant moins qu’il doit fournir trois autres provinces sur son passage. D’autres plans d’acheminement d’eau du Tibet (Yangtzé, via un tracé « Ouest » du canal Sud-Nord) ou de Russie (lac Baïkal) relèvent de la lubie, vu les difficultés techniques aujourd’hui insurmontables. La désalinisation est trop coûteuse en énergie, et trop faible en débit. Les villes complètent leurs réseaux de stations d’épuration —mais qui ne peuvent fournir qu’une fraction des besoins. Avec l’aide publique, villages et coopératives réparent leurs réseaux d’irrigation—l’agriculture à elle seule, embolise 62% de la ressource. Les instituts agronomiques créent des semences nouvelles OGM ou conventionnelles… Mais toutes ces solutions, même cumulées, montrent leurs limites : trop peu, trop tard !
Elles sont inopérantes, car elles s’attaquent au mauvais côté, l’offre, alors que la seule solution passe par une discipline de la demande. La loi de la physique est inflexible : une masse d’eau limitée, ne peut pas satisfaire une demande en pleine explosion sous l’effet d’1,3 milliard d’habitants revendiquant les aménités de la vie moderne, de l’hygiène à l’alimentation, en passant par la production de nombreux biens qui tous, réclament de l’eau. Or, la Chine vit sur un héritage socialiste laxiste, considérant l’eau comme un bien quasi-gratuit et à disposition illimitée.
À 5 à 6$ le m3, l’eau en Chine coûte le quart du coût mondial, et va à prix cassé à l’industrie et aux centrales à charbon qui assurent toujours 57% de la production électrique.
Parmi d’autres moyens de réconcilier l’offre et la demande en eau, la Chine pourrait renoncer au principe politique de l’autosuffisance alimentaire—une décision douloureuse qui forcera à acheter beaucoup plus à l’étranger, tout en renonçant à la monoculture de ses terres arides du Nord. Outre ses fournisseurs traditionnels des Amériques, de nouveaux producteurs se préparent, tels Russie et Kazakhstan. Et la Chine, discrètement, achète au prix fort des terres arables partout sur Terre – jusqu’en France.
La Chine devrait aussi laisser ses aciéries et fonderies à métaux non ferreux à forte demande d’eau, pour passer au recyclage systématique.
Elle a déjà entamé la réorientation de son économie vers les services et la consommation intérieure. Mais un pas de géant reste à faire : l’arrêt d’une priorité aux industries, au profit du consommateur et du monde rural.
Tout amènera une Chine bien plus chère dans 20 ans—Pékin le sait, et s’y prépare. Selon Charles Parton, politologue britannique et expert de ce sujet, c’est le prix à payer pour prévenir un risque de déstabilisation sur son sol, d’une population confrontée à une pénurie devenue insupportable. De plus, pour pouvoir étendre à travers le monde ses « nouvelles routes de la soie » (BRI), la Chine doit pouvoir compter sur une industrie forte et durable, et qui cesse d’épuiser ses réserves en consommant plus d’eau qu’elle n’en dispose. Selon la boutade de Ch. Parton, la Chine « peut imprimer ses billets de banque, mais elle ne peut pas imprimer l’eau » !
1 Commentaire
severy
24 mars 2018 à 20:27Le manque d’eau va s’accroître en Asie. Parions qu’il suscitera des conflits et des guerres dans les 20-30 ans qui suivent, peut-être plus tôt.
Les immenses réserves en eaux potables gelées de l’Arctique attireront bientôt les dents longues surgissant des gosiers célestes.
Des tankers d’un million de tonnes ou plus pourraient tout simplement faire le plein dans les régions arctiques. Ça ne coûterair pas cher et s’il y avait jamais un accident, il n’y aurait pas de risque sérieux de pollution en cas de perforation des soutes.