Suite à notre appel à témoignages, vous avez été nombreux à nous répondre, et nous vous en remercions ! Si nous avons pu constater de nombreux points communs dans vos retours d’expérience en ce contexte épidémique, vos impressions varient sensiblement en fonction de votre région, de la taille de votre entreprise, ou de votre secteur d’activité. A travers les témoignages à suivre, nous espérons exposer les challenges rencontrés, relater l’ambiance dans les usines et les bureaux, et partager quelques anecdotes… A vous la parole :
Pour une multinationale du secteur énergétique, tout commençait juste avant le Nouvel An chinois : « où sont nos employés, où ont-ils voyagé » ? Grâce à WeChat, l’entreprise a rapidement réussi à s’organiser et à s’enquérir de l’état de santé de ses centaines de salariés à travers la Chine. Sur les sites industriels, l’activité ne s’est pas arrêtée, grâce à la présence d’équipes d’astreintes sur place. Une fois qu’une équipe « saine » est formée, tout est fait pour limiter au maximum les contacts avec l’extérieur. Au siège, il est recommandé de venir au bureau uniquement lorsque c’est nécessaire. Alors vive le télétravail ! Une pratique très peu développée en Chine et qui présente l’avantage de limiter le temps passé dans les transports en commun. C’est donc l’occasion de tester une nouvelle manière de travailler à distance, à l’aide de vidéoconférences, de webinaires… Tout est fait pour recréer un esprit d’entreprise, mais à la maison. C’est aussi l’occasion de se former aux dernières technologies. Avant l’épidémie, les cadres les plus expérimentés rechignaient à adopter de tels outils. Aujourd’hui, ils n’en sont finalement pas si mécontents !
Chez un groupe pharmaceutique, les salariés étrangers sont les premiers à être retournés au bureau, probablement heureux de mettre leur nez en dehors de chez eux. Une proposition de rapatriement leur a été faite, que tous ont décliné, par solidarité avec leurs collègues chinois. Déformation professionnelle ou traumatisme du SRAS, les employés chinois sont beaucoup plus réticents à l’idée de revenir au travail : personne n’a envie de prendre les transports en commun, et tout le monde ne peut pas prendre le taxi tous les jours… « La vie au bureau devient problématique, se nourrir le midi lorsque tous les restaurants sont fermés, partager les sanitaires, toucher la bombonne d’eau », confie cette directrice de département. Chaque service est divisé en équipe de quelques personnes, prenant le relai à tour de rôle pour éviter d’avoir trop de monde dans les mêmes pièces. C’est encore plus compliqué pour les commerciaux qui n’ont toujours pas accès aux hôpitaux pour des raisons évidentes… Sous un angle plus positif, cette épidémie se transforme en une opportunité de digitaliser les activités, et pas seulement en marketing ou en communication. Même si la transition digitale interne avait déjà été amorcée, les salariés craignaient d’être surveillés, voire d’être remplacés par la technologie. Dans le contexte actuel, ces inquiétudes ne sont plus au cœur de leurs préoccupations…
Pour un spécialiste du retraitement qui opère plusieurs usines dans différentes provinces chinoises, l’heure est à la prudence : un seul cas de contamination pourrait faire dérailler toute la reprise des opérations. Et les autorités locales ne font pas mystère que c’est l’entreprise qui en porterait la responsabilité… Ainsi, la reprise des opérations industrielles se fait à très bas régime, principalement par manque de main-d’œuvre. Exception qui confirme la règle, un employé coincé dans le Hubei, a réussi à obtenir un laissez-passer pour rejoindre son lieu de travail à 1000 km de là, après s’être soumis à un long processus auprès du commissariat local, des autorités du district et s’être plié à plusieurs contrôles médicaux. Dans l’ensemble, les activités ont pu se maintenir grâce à une certaine automatisation des sites, ne nécessitant que peu de personnel pour fonctionner. Malgré le feu vert donné à la reprise, certains employés ont demandé à prolonger le télétravail, craignant de contaminer leurs vieux parents ou leurs enfants coincés à la maison, faute d’école.
Dans le cas d’une enseigne de grande distribution, les difficultés sont essentiellement d’ordre commercial : pour compenser le manque de contact direct avec la clientèle, le live-streaming est développé sur des plateformes de e-commerce. Les magasins physiques viennent juste de réouvrir mais il y a peu de clients pour le moment. Un impact important est attendu pour mars et avril, mais les préparatifs pour la seconde partie de l’année ont déjà débuté. Au bureau, certains employés viennent très protégés avec une bouteille d’alcool à pulvériser, voire en blouse blanche !
Pour cette agence de marketing installée à Shanghai depuis quelques années, une partie de ses opérations auprès des cliniques privées s’est arrêtée nette avec le Covid-19. Heureusement, une autre partie de l’activité a pu compenser cet effondrement : elle consiste en du marketing digital pour des cosmétiques, et malgré quelques soucis d’approvisionnement, elle est désormais stabilisée et répond à une demande toujours plus forte pour ce type de produit par des consommateurs chinois confinés à domicile ! En cette période d’incertitude, le groupe a également dû faire face au départ de l’une de ses employées étrangères, et a été contraint de se réorganiser avec certains managers encore en quarantaine. Le reste du staff travaille à domicile et leur engagement exceptionnel durant cette crise reste la priorité. Néanmoins, la firme reste confiante en l’avenir et en la capacité du pays à rebondir au deuxième trimestre.
Dans le cas d’une société agroalimentaire, la situation a été très compliquée pour permettre à ses employés de rejoindre des lieux d’exploitation reculés, en province. La fermeture des routes a également compliqué l’approvisionnement en nourriture et en gaz (pour le chauffage). Or il fallait absolument une présence dans les fermes… Les autorités ont été réactives et ont distribué des laissez–passer d’urgence. Finalement, les exploitations ont retrouvé leurs opérations habituelles, non sans peine. Son directeur note tout de même que « les mesures sont mieux organisées à Pékin, où mes employés sont de retour à 70%, tandis qu’à Shanghai, il a fallu négocier longuement avec le management de l’immeuble pour enlever les scellés sur les portes ».
Chez ce grand groupe hôtelier, le Nouvel An chinois, qui est habituellement une excellente période pour le business, a assisté à une chute libre des réservations. Pendant un mois, l’hôtel n’a pas pu accueillir de nouveaux clients et les restaurants sont restés fermés. Ce temps mort a été l’occasion de faire des formations supplémentaires sur l’hygiène, et de développer les offres de plats à emporter et les livraisons. Maintenant, le principal challenge est de préparer la réouverture en toute sécurité, pour les employés et pour les voyageurs, car toute contamination serait une très mauvaise publicité. Tous les employés sont finalement de retour et soumis à une quarantaine obligatoire dans des dortoirs dédiés, tandis que les clients devront fournir des preuves de leur historique de voyage pour être acceptés par l’établissement. Par contre, les réservations de personnes souhaitant s’isoler à l’hôtel pour 14 jours seront refusées.
Pour cette firme de services disposant de branches dans plusieurs grandes villes chinoises, la réouverture des bureaux a parfois suscité d’âpres négociations avec le management des immeubles et des comités de quartier. Shanghai et Canton se remettent plus vite au travail que Pékin, mais partout le télétravail est privilégié par 98% des salariés. Du coup, les RH et le service informatique se donnent du mal pour trouver des solutions de travail à distance adéquates. La société s’attend à un fort impact sur son chiffre d’affaires pour ce trimestre et espère pouvoir retrouver un niveau d’activité normal début avril. Au-delà de cette date, l’entreprise pourrait être contrainte de se séparer de certains employés – du moins à court terme – voire à déménager dans des bureaux moins chers. Des négociations sont déjà en cours pour baisser le loyer.
Selon ce vendeur de spiritueux, la perspective de retourner au travail ne réjouit personne, celle d’aller à l’usine en compagnie de milliers d’ouvriers venant de la Chine entière, encore moins. Dans l’immeuble de l’entreprise, le chauffage central n’a pas été rallumé, mais pour les quelques collègues présents, hors de question d’allumer la climatisation, par peur qu’elle ne propage le virus ! Chacun se voit confier un jour de garde pour effectuer les livraisons, et des dégustations en ligne ont même débuté. A Qingdao, les mesures sont de plus en plus contraignantes, surtout avec le boom de nouveaux cas en Corée du Sud, mais acceptées sans atermoiement par la population.
A Pékin, un commerçant voit la majeure partie de son personnel bloqué dans différentes provinces. Pour rouvrir son atelier, il n’a eu d’autre choix que de trouver un arrangement avec la police locale, qui appelait l’entrepreneur à soutenir le peuple chinois dans ces moments difficiles. Si les livraisons auprès des clients B2B reprennent petit à petit, il devrait bientôt pouvoir rouvrir sa boutique, à horaires réduits.
Enfin, un restaurateur français se démène pour garder la tête hors de l’eau. A la tête de deux restaurants, l’un a été fermé par les autorités de quartier car « trop fréquenté », l’autre reste ouvert, mais a perdu 80% voire 85% de sa clientèle depuis un mois. Il ne voit pas de reprise sensible des affaires, et la livraison reste compliquée par l’accès restreint aux résidences. Si son bailleur a bien voulu faire un geste, le gouvernement chinois n’aide aucunement. A ce rythme-là, il devra mettre la clé sous la porte d’ici 5 à 6 semaines…
Merci à tous d’avoir pris le temps de nous répondre, et nous vous souhaitons bon courage pour les semaines à suivre, décisives pour nombre d’entre vous ! En espérant un retour à la normale au plus vite…
1 Commentaire
severy
3 mars 2020 à 08:37Dramatique et très intéressant.