L’objectif du deuxième mandat de Tsai Ing-wen, Présidente de la République de Chine réélue le 11 janvier, est clair : plus que jamais, il s’agit d’intégrer Taïwan au reste du monde afin de briser l’isolement et la marginalisation imposés par Pékin qui menace de profondes rétorsions économiques et politiques à quiconque voudrait soutenir Taipei. Sous cet angle, l’épidémie de Covid-19 représente une opportunité pour le gouvernement de Tsai de porter haut et fort ses revendications sur la scène internationale. Pourtant, au lendemain de sa réélection, Pékin mettait en garde la Présidente contre toute « provocation »…
Tout d’abord, il faut noter combien la carte de la diffusion du virus se calque sur celle de l’influence de Pékin sur le monde. Les pays les plus touchés par l’épidémie sont aussi parmi les plus proches de la Chine : la Corée du Sud en Asie du Sud-Est (2 022 cas, 13 morts, au 28 février), l’Iran au Moyen-Orient (245 cas, 26 morts) et l’Italie (650 cas, 17 morts) en Europe de l’Ouest. Inversement, l’indépendance de facto de Taïwan se traduit dans les chiffres : pour le moment, on recense sur l’île 34 malades (et 1 décès), soit 60 fois moins qu’en Corée du Sud et 20 fois moins qu’en Italie (alors que Taipei est 9 fois plus proche de Wuhan que Milan). De fait, la restriction décrétée par la Chine des vols touristiques vers Taïwan par mesure de rétorsion économique après le premier mandat de Tsai (2016-2020), a permis à l’archipel de se protéger de la propagation du virus tout en diversifiant son offre touristique. C’est la raison pour laquelle l’île subit moins fortement le contrecoup économique de cette « manne » comme c’est le cas en Thaïlande ou au Cambodge.
Dans les premiers jours de l’épidémie, deux experts taïwanais du Centre for Disease Control (CDC) étaient invités à Wuhan, témoignant d’une certaine cordialité entre Taipei et Pékin. Mais c’est au moment de procéder au rapatriement des 970 ressortissants taïwanais de Wuhan, que les choses s’envenimèrent. Lorsque 247 d’entre eux arrivèrent finalement à Taipei le 3 février après d’âpres négociations, les autorités se rendirent compte que certains ne faisaient pas partie de la liste des rapatriements demandés. Plus grave, l’un des passagers s’avéra porteur du virus, ce qui n’avait pas été signalé, ni par les autorités chinoises (qui furent violemment critiquées par l’opinion publique taïwanaise) ni par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui assurait pourtant que la Chine transmettait toutes les informations nécessaires à Taïwan. L’incident a malheureusement prouvé que ce n’était pas le cas.
En incluant sans distinction dans ses décomptes, les cas de la maladie à Taïwan (et des régions administratives spéciales de Hong Kong et de Macao), à ceux de la Chine continentale, l’OMS ajoutait l’affront au déni. Rappelons qu’au moment où, sous la présidence de Ma Ying-jeou (KMT, 2008-2016), Taipei et Pékin nourrissaient des relations plus cordiales, l’OMS avait admis « Chinese Taipei » comme membre observateur. Cependant, avec l’élection de Tsai (DPP) à la tête de Taïwan en 2016, l’île a perdu ce statut – une démarche questionnable pour une organisation censée faire preuve de neutralité politique. Une situation unique que dénonçait le ministre des Affaires étrangères taïwanais Joseph Wu : « Non seulement notre gouvernement est privé de participation à l’OMS mais les experts taïwanais sont aussi arbitrairement empêchés de prendre part à des réunions techniques »,
Suite à des pressions des Etats-Unis, du Canada, du Royaume-Uni et du Japon, l’OMS acceptait la participation d’experts taïwanais à une vidéoconférence de l’OMS sur le coronavirus le 11 et 12 février. La veille, la Chine se lançait dans une tentative d’intimidation en envoyant un bombardier H-6K et un avion de chasse Su-30 pour circuler autour de Formose – interceptés par un F16 taïwanais. En riposte, le 13 février, les Etats-Unis mobilisaient deux bombardiers B-52 et un avion de chasse MC-130J du côté du Détroit. Pékin tentait alors de tourner la décision de l’OMS à son avantage, en assurant qu’elle n’aurait pas pu se faire sans son approbation. Tout autre son de cloche de la part de Joanne Ou (cf photo), porte-parole du ministère des Affaires étrangères taïwanais, qui affirmait que la Chine s’appropriait une décision qui n’avait pas été de son ressort : « la participation de nos experts à ce forum a été discutée et approuvée par notre gouvernement directement avec l’OMS ».
Ce n’est pas la première fois que cette polémique surgit au sein des organisations internationales. Fin janvier, le compte Twitter de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (ICAO), basée à Montréal et dirigée par la Chinoise Fang Liu, supprimait les commentaires d’internautes appelant à accepter Taïwan en tant que membre.
En conclusion, l’émergence du Covid-19 a rendu encore plus manifestes l’iniquité et les risques inhérents à l’exclusion de Taïwan des instances internationales. Le virus a aussi montré combien ces organisations étaient marquées par l’emprise de Pékin et semblent avoir perdu une part de leur indépendance. De plus, la gestion de la crise par Taïwan, qui est le pays en Asie le moins touché, a renforcé la stratégie de Tsai Ing-wen de prise de distance par rapport à la Chine : les sondages montrent d’ailleurs que sa cote de popularité est au plus haut ! Alors que le PIB chinois devrait être touché de plein fouet par la crise du Covid-19 et que les critiques montent à l’intérieur du pays, certains s’inquiètent d’une tentation de Pékin de faire diversion en frappant l’archipel formosan. Les conséquences d’un tel conflit militaire seraient bien plus graves pour l’équilibre mondial que celles d’un simple virus.
Sommaire N° 10 (2020)