Depuis le retour de Hong Kong à la Chine en 1997, aux élections du Legco (Parlement) au système flou et inéquitable hérité de la Couronne Britannique, l’opposition pan-démocrate s’était habituée à remporter les sièges attribués aux circonscriptions territoriales – les « pro-Pékin » ne conservaient qu’une courte majorité grâce aux circonscriptions socio-professionnelles.
En 2016, six étudiants du mouvement Occupy Central (démocrates) élus à leur tour, avaient commis l’imprudence de ridiculiser la Chine lors de leur cérémonie investiture. Sur ordre de Pékin, ils avaient été disqualifiés. Cette année, lors d’élections partielles organisées le 11 mars, quatre d’entre eux tentaient de rattraper leurs sièges. Durant leur campagne, ils montaient en épingle leur « persécution », transformant de facto ce vote en un référendum sur leur disqualification de 18 mois plus tôt. Vu la stabilité des votes depuis 20 ans, ils n’avaient aucun doute d’un résultat en leur faveur…
Le soir du vote, une immense surprise les attendait, ainsi que pour toute la RAS (Région Administrative Spéciale) et la Chine-même : deux des quatre étaient battus par leurs adversaires du Parti pro-Pékin (DAB). C’était une première: les électeurs avaient préféré suivre l’appel de Tung Chee-hwa l’ancien chef de l’Exécutif (vice-Président de la Conférence Consultative CCPPC à Pékin), à voter « pragmatique et constructif, pour des candidats vraiment pro-HK et non des indépendantistes autonomistes qui coûteraient cher à la Cité ».
Pourquoi un tel tournant ? Premier indice : les électeurs ne se sont pas déplacés, la participation se limitant à 43% contre 58% en 2016. La tête de liste des démocrates Edward Yiu (cf photo, à gauche), à Kowloon-Ouest, ne récoltait que 105.000 voix, moitié moins que deux ans auparavant. Cette fois, la cause n’était pas la rigidité des cadres du Parti de Pékin, prêts à sanctionner toute velléité locale d’exprimer sa différence. Linda Li, politologue à la City University, évoque plutôt une « fatigue » de l’électorat de l’hostilité systématique de ces jeunes élus vis-à-vis de Pékin et de leur blocage stérile de n’importe quelle proposition publique au sein du Legco. « Les électeurs, ajoute Li, n’avaient pas apprécié que les six députés soient disqualifiés. Mais c’était il y a 18 mois. Et puis, on ne peut pas baser une campagne sur un seul thème. Les candidats doivent aussi convaincre l’homme de la rue de leur capacité à se battre pour l’emploi, l’environnement… ». Cette explication semble corroborée par une analyse du scrutin sur Kowloon-Ouest : Edward Yiu a mieux résisté dans les quartiers bobos et intellos aisés (qui pouvait se permettre de parler démocratie), que dans les quartiers défavorisés, en demande plus pressante d’amélioration de leurs conditions de vie.
Ainsi cette plus jeune et récente couche d’opposition va devoir faire son examen de conscience, accélérer sa maturation et ne plus confondre politique et monômes d’étudiants. Ce n’est pas forcément mauvaise chose.
En attendant, cette victoire de candidats modérés pro-Pékin change les perspectives. Des candidats de l’establishment chinois découvrent qu’ils peuvent gagner aux territoriales. À l’inverse, les pan-démocrates constatent douloureusement qu’ils n’ont pas le monopole du cœur des Hongkongais, ni de l’avenir.
Ce scrutin explicite donc une évolution des mentalités, qui amène pour Hong Kong un nouveau risque : celui d’une Chine pressée de l’intégrer aux règles générales du pays, et qui serait tentée d’en profiter par différents moyens pour éroder l’opposition au Parlement. D’autres élus démocrates pourraient voir à leur tour leur élection invalidée. Le Legco pourrait aussi imposer une limitation au nombre des amendements autorisés, afin d’empêcher les démocrates de paralyser les votes. Pékin pourrait même oser une nouvelle tentative de faire voter au Legco une loi sécuritaire destinée à brider la presse, ce qu’elle avait déjà essayé de faire en 2003. La réponse avait été immédiate, en un soulèvement de 500.000 citoyens dans les rues du « Rocher », causant l’abandon rapide du projet.
Fait historique intéressant, un autre débat sur Hong Kong se tient au même moment à 2000 km plus au nord, à Pékin lors des deux Assemblées. Force est de constater, là aussi, une évolution des idées dans le même sens, une acceptation de la réalité d’un avenir commun à inventer entre ces deux communautés.
Présentant aux députés le bilan quinquennal de sa gestion de la relation chinoise avec Hong Kong et Macao, Zhang Dejiang, ex-Président du Parlement et ex-titulaire du dossier, se félicite d’avoir « résolument défendu l’ordre constitutionnel ». En fait, il cherche aussi à se justifier pour les désordres d’ « Occupy Central » qui paralysèrent l’île durant 79 jours suite à son refus de consentir à laisser élire le chef de l’Exécutif au suffrage universel direct. Mais Michael Tien, un des 36 élus de l’île à l’ANP, remarque : « Zhang est peut-être impopulaire, mais son attitude franche a aidé la ville à ne pas perdre de temps en se faisant des illusions ».
D’autres élus de Hong Kong rappellent les avantages pour la RAS d’appartenir à la Chine. Lam-Lung-on, PDG du groupe shanghaien Yuzhou le déclare : Hong Kong, n°1 mondial du RMB-off-shore, pourrait « devenir une base internationale de gestion d’actifs et du risque, et surtout une place internationale de fixation des prix des actifs ».
Enfin, les autorités ne se gênent pas pour rappeler l’avenir radieux de la ville, basé sur le triangle ferroviaire et autoroutier qui se met en place à étapes forcées : l’intégration d’une méga-région « de la Grande Baie » industrielle et de services, entre province du Guangdong, Macao et Hong Kong.
Sommaire N° 10 (2018)