Corées : L’embrasement menace

La paix se délite en péninsule Coréenne. Fragilisée en février par un test balistique nord-coréen, la stabilité a été mise à mal après le nouveau tir de quatre missiles le 6 mars, qui ont parcouru 1000km avant de s’abîmer près des côtes japonaises. La réponse des Etats-Unis ne tarda pas : promis depuis l’été à la Corée du Sud pour sa défense, les premiers éléments du dispositif antimissiles THAAD, ont été déployés en banlieue de Séoul.

Depuis l’annonce de la décision conjointe de déploiement du THAAD, la Chine avait fait pression pour tenter de le bloquer, mais le test balistique de février avait mis fin aux atermoiements. Le 28 février, la multinationale Lotte acceptait d’échanger son terrain de golf de Séoul avec un terrain militaire, créant ainsi les conditions pour ouvrir la base de l’US Army. Signe de la déstabilisation profonde suscitée dans l’opinion sud-coréenne par ces tests nordiques de missiles et de bombes atomiques, la décision de déploiement a pu avoir lieu, en dépit d’une forte opposition riveraine et de la destitution de la Présidente Park Geun-hye le 10 mars.

Chine et Russie s’unissent dans le refus de cette rampe THAAD à leurs portes. Elles redoutent surtout la capacité de ses radars, complétant le dispositif d’écoute américaine, qui nuit à leur secret défense.

Dès l’automne, Pékin avait commencé à punir Lotte, et le gouvernement sud-coréen. Une fois réalisé le transfert du terrain d’accueil pour le THAAD, sa « petite tape » se mua en « coup de poing » : sous prétextes dilatoires et sans faire de lien avec le litige, elle ferma 40 des 150 magasins Lotte, sa chocolaterie (en JV avec Hershey) à Shanghai, et son parc à thèmes à 2,6 milliards de $ en construction à Shenyang. Elle a incité au boycott des produits et de la chaîne Lotte, jusqu’alors pourtant plébiscités pour leur qualité. Weilong, fabriquant de snacks épicés, a fait retirer (2 mars) tous ses produits. Le site internet de Lotte a aussi été hacké. Cette campagne de bashing a déjà fait perdre à Lotte 20% en bourse.

D’autres intérêts sud-coréens sont frappés : des millions de touristes chinois renoncent à leurs vacances (vers l’île de Jeju par exemple), destination interdite au 15 mars. Les exports coréens en Chine baissent de 5 à 10% : autos Hyundai, smartpho-nes Samsung ou LG, cosmétiques du consortium AmorePacific. Jeju-Air se voit depuis des mois rejeter sa demande de charters supplémentaires.

Face à cette douche écossaise, Séoul, pieds et poings liés, verse des aides à ses PME (1 milliard de $ à ce jour), et menace Pékin de plainte à l’OMC pour « discrimination ». Pékin conclue sa salve en promettant des mesures contre Corée du Sud et USA, pour « défendre résolument ses intérêts de sécurité ».

Et face à Pyongyang, que fait la Chine ? Symptomatiquement, elle se tait. Dès le premier tir de missiles, elle avait coupé 30 à 40% des recettes extérieures du régime stalinien, bloquant « jusqu’à décembre » ses livraisons de charbon pour 1,2 milliard de $. Mais c’est pour faire pression, et la durée de la sanction est bien sûr négociable.

Cette discrétion chinoise est liée à la tempête que la Corée du Nord a attirée sur elle en faisant assassiner le 13 février à Kuala Lumpur le demi-frère Kim Jong-nam, du « cher leader » Kim Jong-un. Depuis, avec la Malaisie, la Corée du Nord est en rupture de relations : les ambassadeurs sont rappelés, et ces ex-alliés bannissent de sortie du territoire les nationaux de l’autre (9 Malais et 1000 Nord-coréens sont « otages » réciproques). Dans ce climat, Hoo Chiew-Ping de l’université de Malaisie, prévoit que les pays d’Asie du Sud-Est, hier parmi les rares au monde à traiter avec Pyongyang, vont geler leurs accords bilatéraux. La Corée du Nord verra de facto sa dépendance exacerbée envers la Chine qui seule, par sa frontière, alimente le « pays du matin calme » en carburant, riz, t-shirts, téléphones portables…

Or, la Chine se garde de remettre  en cause ces liens. En dépit des récents sarcasmes de Kim Jong-un sur Pékin (accusée de « danser à la musique des USA »), le dialogue reste ouvert–renforcé, même. Ri Kil-song, vice-ministre des Affaires étrangères recevait le 18 février à Pyongyang l’orchestre de Jilin, puis après le concert, s’envolait pour Pékin jusqu’au 4 mars – la plus longue visite bilatérale depuis juin, sur invitation de son homologue Wang Yi…Contre vents et marées, Pékin maintient son aide à son turbulent protégé.

Après la mise à feu des dernières fusées nordistes, Wang Yi a condamné, mais aussi tancé l’alliance USA-Séoul, lui reprochant des manœuvres conjointes tenues la semaine précédente. Il a aussi appelé « toutes les parties » à la réserve. Cette modération lui permet d’apparaître « neutre et arbitre » face aux négociateurs du pays du matin calme.

Enfin le 8 mars, Wang Yi jouait peut-être sa dernière carte en proposant à chaque pays de renoncer, l’un à son THAAD et aux manœuvres conjointes, l’autre à sa course aux missiles et à l’arme nucléaire. Wang Yi compare les frères ennemis à « deux trains-bolides » en route vers une collision meurtrière et insensée.  

Le souci chinois n’est pas feint : en 65 ans, de part et d’autre de la ligne de démarcation, le risque d’explosion n’a jamais été si élevé. Mais les bons offices de Pékin sont obérés par deux faits : dans la solution proposée, ses propres intérêts sont trop visibles, et de part et d’autre, la confiance en la Chine est amoindrie. La politique suivie depuis 20 ans, consistant à faire croire à chaque Corée qu’elle est de son côté, n’est plus tenable.

À la proposition de Wang Yi, les Etats-Unis ont illico répondu ‘non’. Mais c’est qu’un autre sommet se profile, entre D. Trump et Xi Jinping à Washington, cette année : le moment de toutes les relances.

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