Avec ses octogénaires chantonnant, tout en battant la mesure, l’endroit a un petit air d’« EHPAD », maison de retraite à la française. Sauf que c’est en chinois que résonne la chansonnette, et que nous sommes à Shenzhen, la ville mitoyenne de Hong Kong.
Exporter vers le Céleste empire les méthodes de gériatrie d’Europe, tel est le défi entrepris depuis plusieurs années par Olivier Dessajan, directeur Chine du groupe Colisée, en association avec China Merchants, conglomérat d’affaires chinois. Car le challenge est immense, comme l’explique Louis Martinet, directeur des opérations : « sur la manière d’aborder le 3ème âge, la Chine se trouve à peu près dans la position de l’Europe, 40 ans plus tôt, avec beaucoup d’interrogations, et peu de technique ».
Aussi, après son premier centre de Canton, avec 132 lits en opération depuis plus d’un an, c’était au tour de Shenzhen (district de Shekou) d’ouvrir en avril 2018. Le centre de Shenzhen, après 11 mois d’activité, accueille 50 résidents sur les 75 lits disponibles, met en place de nouveaux principes sur l’alimentation, le suivi médical, le traitement médicamenteux, l’exercice physique ou intellectuel, et surtout, le dialogue entre le centre, les familles et le pensionnaire.
Depuis, l’établissement a déjà connu trois « miracles » (selon le mot des familles) : des résidents qui étaient grabataires et qui remarchent.
Avant l’arrivée de Colisée, le lieu était loin d’accueillir des pensionnaires du 3ème âge. Il s’agissait d’un ancien centre de formation de cinq étages au cœur d’un quartier d’affaires, donc aucune architecture spécialement conçue pour cette activité.
De la disposition des pièces à la couleur des murs, blancs ou grèges, rien ne correspondait aux besoins en « jeunesse » et en « gaité ».
En France, accompagnants et aides-soignants étudient pendant au moins un an. A Shenzhen, les soignants ont suivi deux mois de formation, et un programme quotidien de formation continue en gériatrie est dispensé par les experts du groupe Colisée.
Ainsi, les employés savent comment prévenir les chutes : en équipant les locaux pour adoucir l’impact, en renforçant la condition physique des pensionnaires, en formant le personnel à la position latérale dans laquelle mettre la victime après la chute.
Surtout, l’accompagnement est constant. Le centre comporte un médecin gériatre, qui voit chaque patient chaque jour. Il travaille avec le pharmacien du centre. Ensemble, ils voient comment repenser la nutrition et la médication de façon à limiter les effets secondaires. Comme en Europe, un programme d’exercices de mémoire, exercice physique et d’expression propre est mis en place. Dans des limites raisonnables, les pensionnaires obtiennent des équipements pour des activités – piano, mini-golf, jardinage…
Les soignants sont formés à la méthode Montessori. De la sorte, une rééducation forcément douloureuse ou pénible est adoucie par une individualisation des programmes d’activités s’appuyant sur les capacités et les plaisirs de chaque résident. Et si la famille ou le pensionnaire refuse le soin – par exemple, préférant la médecine traditionnelle chinoise – on s’efforce de donner satisfaction, et surtout, on discute, sans jamais forcer la décision.
Un programme d’activités est proposé – sortie photos dans deux parcs, barbecue une fois par mois, restaurant un midi par semaine. Et les personnes âgées se retrouvent à toute heure du jour, pour papoter au jardin… De la sorte, le sujet retrouve une sensation de bien-être qu’il avait perdue avant son intégration : ils parlent de ce centre comme de « la maison », et les proches reprennent le terme.
« Il existe une forte différence d’appréciation entre l’approche chinoise et européenne de la vieillesse : en Chine, la vieillesse est une maladie », explique Louis Martinet. « En France, nous abordions le problème de la même manière dans les années 80, quand notre société entrait dans une phase de vieillissement. Et c’est pourquoi aujourd’hui, nous pouvons leur offrir des solutions, 40 ans plus tard ». Au pays de la piété filiale, les familles chinoises ressentent l’obligation de garder leurs vieux parents auprès d’eux, même s’ils ne savent pas comment s’en occuper. Elles éprouvent honte et culpabilité à les confier à un centre, qu’elles ressentent comme un mouroir. Pour y remédier, l’oncologue Gu Jin proposait d’ailleurs lors de l’Assemblée Nationale Populaire, de sensibiliser la jeunesse dès l’école à la notion de deuil et d’accompagnement des personnes malades par plus d’attention et de confort.
Et le prix dans tout ça ? « Ce type d’établissement n’est à la portée de tout le monde », remarque une employée chinoise, le coût mensuel étant bien plus élevé que le salaire moyen de région qui avoisine les 7000 yuans.
Mais Colisée et China Merchants visent à long terme—d’autres projets sont en cours. Rien que dans Shenzhen, le nombre des sexagénaires, clients potentiels, avoisine le million, et l’ensemble de la Chine en 2050, en comptera 400 millions, pour lesquels n’existe encore presque aucune structure d’accueil : « avec le partenaire chinois, conclut le responsable français, nous sondons le terrain et nous nous préparons pour un rendez-vous inévitable avec cette Chine du troisième âge ».
2 Commentaires
severy
16 mars 2019 à 20:19Excellent article.
Quand on pense qu’il faut six planches pour faire un cercueil, on comprend que les menuisiers sont faits pour s’entendre avec les boulangers car, avec l’accroissement de la population du troisième et du quatrième âge, tous les candidats à l’auréole vont donner à ces deux professions plein de pain sur la planche.
Laurence Liniere
16 mars 2019 à 23:00Félicitations pour la réussite de Colisee dans la réalisation de cet établissement bienveillant .
Architecte, j’ai activement participé à l’élaboration du projet architectural et humain et ai particulièrement apprécié le professionnalisme et l’ambition de Colisee.
Avec mes compliments et mon bon souvenir,
Laurence LINIÈRE