Petit Peuple : Fugui et Laifu (Xuzhou) – De l’utilité des allégories

Fugui et Laifu (Xuzhou) – De l’utilité des allégories

« Félicitations à Monsieur Fugui et Mademoiselle Laifu pour leur mariage ». Les caractères flottent sur l’arche gonflable rouge qui orne temporairement le fronton d’une école maternelle de la ville de Xuzhou, au nord-ouest de la province du Jiangsu. Le mariage d’un membre du personnel ? D’un parent d’élève ? Du maire de cette ville de plus de 9 millions d’habitants ? Du tout. Le mariage des deux lapins de l’école.

Tout est parti d’une remarque d’un enfant – tout juste revenu d’un mariage familial, qui a demandé à son enseignante si les lapins de l’école, Fugui et Laifu, pouvaient eux-aussi se marier. Et bien pourquoi pas ? a-t-elle pensé et l’idée a fait son chemin. Quoi de mieux pour sensibiliser les enfants à la cause animale et aux valeurs de l’amour et de l’engagement que d’organiser un mariage à l’échelle de l’école ? L’idée a plu à la direction, aux parents et aux utilisateurs de Douyin qui ont vu près de 9 millions de fois la vidéo qui en a résulté.

La cérémonie a été pensée dans les moindres détails pour ressembler le plus possible à un mariage humain. Si le marié ne pouvait pas envoyer un cortège de voitures pour venir chercher sa belle, ce sont des jeunes élèves en voitures-pédalo qui ont défilé devant les autres dans la cour de l’école, avec la cage de Laifu – recouverte d’un voile rouge traditionnel – en tête de cortège. L’école a également réalisé deux certificats de mariage en tous points identiques aux vrais. Les enfants ont ensuite pu donner aux mariés des billets de banque qu’ils avaient confectionnés et glissés dans des enveloppes rouges. La fête s’est poursuivie avec un goûter pour trinquer aux heureux mariés et les enfants sont repartis avec un petit sac de friandises à partager.

Dès le lendemain, les enfants se sont étonnés de voir chaque lapin dans sa cage : ne devaient-ils pas désormais vivre ensemble, comme une vraie famille ? Oh, la perspicacité enfantine… Il a donc fallu faire cage commune et c’est là que les choses se sont corsées. Comme chez les humains à vrai dire !

Aussi pressé qu’un singe (en vrai chaud lapin pour la traduction française), Fugui a sauté sur le dos de sa compagne avant de tomber sur le côté en poussant un cri aigu, sous les yeux éberlués des enfants. Un nuage de questions se bousculait dans la tête de l’enseignante, paniquée : fallait-il lever le lièvre et expliquer aux enfants la reproduction ? Laifu avait-elle été stérilisée avant d’être adoptée par l’école ? Que faudrait-il faire des lapereaux s’il y en avait ? Toute la journée, le raffut provoqué par les deux lapins en chaleur – dont on avait couvert la cage d’un tissu pour ne pas choquer les enfants – a confirmé à l’enseignante que la femelle serait enceinte bientôt…

La vidéo du mariage, virale, multipliait les vues et les articles écrits sur le sujet soulignaient une façon ludique d’enseigner, le pouvoir de l’imagination dans le processus éducatif. S’il fallait continuer de calquer la vie de ces lapins sur celle des humains, toute l’équipe enseignante, consternée, imaginait déjà la montagne de tracas qui les attendaient : la fête des 100 jours, celle du zhuazhou au premier anniversaire des lapereaux, les soins à prodiguer, que faire en cas de dispute ? Faire cage à part ? Simuler un divorce ? L’organisation d’une garde alternée ? L’imagination fertile de cette équipe, dûment louée sur les réseaux, allait bon train. Le directeur mit fin aux divagations. « Nous avons manqué de prudence mais tout peut se rattraper. Un lapin rusé n’a-t-il pas toujours trois issues à son terrier ( jiǎo sān , 狡兔三窟) ? Voici ce que nous allons faire. »

Dès le lendemain, les lapins furent remis dans leurs cages respectives et discrètement placés chez deux enseignants. On annonça aux enfants leur départ en voyage de noces, un long périple dans différentes provinces de Chine. Bien sûr, ils enverraient des nouvelles et reviendraient bientôt. Cela laissa du temps pour s’organiser et prendre une décision difficile : en plus de faire stériliser Laifu dès que ce serait possible, fallait-il garder un lapereau (plus commode) ou deux (plus en ligne avec la réalité des situations familiales des enfants) ou trois (plus en ligne avec ce qu’on attendait de ces futurs parents pour redresser la natalité chinoise) ? Et que faire des autres ? Les faire adopter bien sûr, ce serait un comble de les abandonner ou pire…

« Je me sers d’animaux pour instruire les hommes » disait La Fontaine dont les fables étaient destinées à éduquer le fils du roi Louis XIV. Peut-être eût-il fallu préciser : « dans mes écrits et non dans la vie » !

Par Marie-Astrid Prache

NDLR : Notre rubrique « Petit Peuple » dont fait partie cet article s’inspire de l’histoire d’une ou d’un Chinois(e) au parcours de vie hors de l’ordinaire, inspirée de faits rééls.

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