Diplomatie : Quand la diplomatie passe à l’offensive

Ces derniers mois, la tendance s’accélère : la Chine s’appuie sur son réseau diplomatique aux 276 représentations à travers le monde (neuf fois plus que la France), pour faire passer ses messages. Et le ton monte, en Europe et ailleurs.

En octobre, l’Ambassade de Chine à Paris exprimait son « vif mécontentement et profond mépris face à l’hypocrisie de la déclaration européenne » qui s’inquiétait de « l’escalade de la violence » à Hong Kong. Les termes abrupts employés dans la déclaration chinoise contrastaient avec l’appel européen au ton modéré. Pour Lu Shaye, le nouvel ambassadeur juste promu dans l’hexagone, il s’agissait de marquer le coup. Auparavant, le diplomate chinois a fait ses armes à Ottawa. En janvier, il publiait une tribune dénonçant « l’égoïsme occidental » et le « suprématisme blanc », reprochant aux Canadiens de ne pas s’intéresser au sort de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, arrêtée à Vancouver sur mandat américain.

Le mois suivant, une situation similaire à Rome prenait une tournure inattendue. Le Hongkongais Joshua Wong, leader du mouvement pro-démocratie et chef de file du parti Demosistô, devait intervenir devant des parlementaires italiens. Interdit de quitter le territoire, une vidéo-conférence sur Skype était finalement organisée par les Frères d’Italie et les Radicaux. L’ambassadeur Li Junhua accusa alors les députés italiens de « conduite irresponsable ». Les élus dénoncèrent à leur tour cette tentative d’interférence et le manque de respect de la souveraineté du Parlement. De surcroît, ils adoptèrent à l’unanimité une résolution pour le soutien de la démocratie à Hong Kong et pour la tenue d’une commission indépendante sur les violences policières.

En décembre, c’est Berlin qui était la cible de pressions chinoises. L’ambassadeur Wu Ken ne faisait pas mystère que « si Huawei était exclu du marché germanique de la 5G, il y aurait des représailles économiques ». Puis le diplomate rappela subtilement que les constructeurs allemands réalisaient l’an dernier un quart des 28 millions de ventes de véhicules en Chine. Cette tentative d’intimidation intervient dans un contexte particulier : depuis des mois, le géant des télécoms chinois doit faire face à une forte résistance parmi la coalition d’Angela Merkel. Un projet de loi pour bannir les « fournisseurs indignes de confiance » a été soumis à la Chancellerie, mais cette dernière hésite à imposer une telle restriction, craignant qu’elle nuise à ses relations avec Pékin. La Chancelière déclarait elle-même au Bundestag n’avoir pas eu vent de pressions exercées par les autorités chinoises.

Même réaction de la part du Premier ministre des îles Féroé (territoire semi-autonome danois, hors UE), affirmant que son gouvernement n’avait subi aucune pression pour choisir Huawei pour sa 5G. Une déclaration qui faisait suite à un enregistrement d’une conversation entre le ministre du Commerce des Féroé et son conseiller, révélant que l’ambassadeur chinois Feng Tie menaçait de faire capoter un accord commercial avec l’archipel aux 50 000 âmes si Huawei ne signait pas avec l’opérateur local. Le diplomate justifia ses propos comme étant de son devoir de s’assurer que Huawei soit traité équitablement et sans discrimination. Plus tôt, les Etats-Unis avaient fait pression sur les Féroé pour que Huawei soit exclu. « Il n’est pas dans la culture chinoise de faire des menaces, ce sont les Américains qui sont coutumiers du fait », taclait Feng Tie.

En Suède, les relations avec la Chine sont glaciales depuis plusieurs mois. L’ambassadeur à Stockholm, Gui Congyou, a déjà été convoqué au ministère des Affaires étrangères pas moins d’une quarantaine de fois. Dans une longue interview à l’agence de presse suédoise TT, le diplomate menaçait d’interdire de séjour en Chine la ministre de la Culture si elle remettait le Prix Tucholsky à Gui Minhai, le libraire kidnappé à Hong Kong puis emprisonné en Chine. Une déclaration appuyée à Pékin par la Commission Centrale Politique et Légale chinoise. « On traite nos amis avec du bon vin, mais pour nos ennemis, on a des fusils », commentait Gui Congyou. Le diplomate chinois a-t-il franchi la ligne rouge ? Son renvoi a plusieurs fois été évoqué, sans jamais être acté, de peur d’aggraver une situation déjà extrêmement tendue.

Cette soudaine agressivité chinoise est la dernière manifestation d’une stratégie initiée il y a 10 ans, visant à changer la perception du pays hors frontières et à faire entendre au monde sa version des faits. Auparavant plus ou moins impassible face aux critiques internationales, la Chine a décidé de ne plus mâcher ses mots. Si la guerre commerciale avec les Etats-Unis semble avoir été le déclencheur, d’autres affaires ont mis la Chine sur la défensive : « la répression au Xinjiang n’est pas ce que l’Occident dépeint, les manifestations à Hong Kong sont alimentées par des forces étrangères, Huawei est victime de l’acharnement américain »… Sa montée en puissance grâce à son modèle autoritaire lui donne l’assurance nécessaire pour répliquer aux démocraties en proie au populisme. Le temps des concessions et de l’humilité semble donc bel et bien terminé.

Toutefois, si l’idée est de gagner en sympathie, cette tactique semble contre-productive. En montrant un visage dur, la Chine s’aliène l’opinion publique (comme le révèlent les derniers sondages du Pew Institute), et se met à dos les députés (italiens, allemands, ou canadiens), de plus en plus nombreux à être partisans d’une ligne dure envers la Chine. Ces effets indésirables ont-ils bien été évalués en haut lieu ? Ou peut-être la Chine a-t-elle décidé de passer outre, comptant davantage sur l’effet dissuasif de ces intimidations verbales à long terme ? En tout cas, les conséquences immédiates sont d’amener les partenaires étrangers à réévaluer la nature de leurs relations avec la Chine.

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