Fils d’une famille paysanne aisée à Luoyang dans le Henan, Zhang Mou émanait autour de lui, avec le sourire, tous les signes de la réussite. Fort travailleur quand il fallait, il savait pourtant lever le pied dès qu’il était possible, pour jouir de la vie. Il était aussi bel homme, et conscient de l’être. Les yeux ouverts sur les plaisirs du monde, il les dévorait à pleines dents – mais tout en gardant toujours le sens de la mesure. Au fond, c’était un opportuniste au bon sens du terme, sachant saisir les chances quand il les rencontrait, mais capable de sentir les limites à ne pas dépasser. A l’école, il avait réussi sans trop se forcer, faisant juste assez d’efforts pour passer chaque classe. Après le Gaokao (le baccalauréat), il s’était orienté vers une école professionnelle dans l’immobilier, la carrière qui lui apparaissait la plus prometteuse. A la sortie, il s’était trouvé un poste lucratif à Kunshan (Jiangsu) pour lequel il vendait à tour de bras appartements et villas aux membres de la classe montante de la province. Il gagnait confortablement sa vie, assez pour acquérir en peu d’années une rutilante berline allemande et un duplex de 180 m2 derrière le parc Jinglin. Bientôt, il quittait la boite pour recruter une vingtaine d’employés à son compte : en 2012, à seulement 30 ans, sa fortune était faite.
Au fil de sa jeune carrière, Zhang Mou avait multiplié les conquêtes éphémères de jeunes femmes en quête de vie facile, voire d’un mari, ne craignant pas d’en fréquenter plusieurs en même temps. Durant les semaines ou (plus rarement) les mois que duraient ces liaisons, il traitait bien ces femmes, multipliant les sorties au restaurant, les voyages, et les comblant de bijoux et de parures. Quand l’heure était venue de les quitter, il leur offrait tantôt un manteau de fourrure, tantôt un emploi agréable, obtenu auprès d’un de ses nombreux amis de la bonne société. C’était une manière, pour ce garçon hédoniste mais foncièrement bon, d’éviter à ces filles de se sentir trahies ou humiliées à l’aube de leur vie.
Toutefois, cette année 2012 qui aurait pu être celle de son apothéose, s’avéra celle de sa remise en cause : à 30 ans, il commença à se lasser de cette existence superficielle, gagné par le sentiment d’en avoir fait le tour. L’antique culture confucéenne et bouddhiste de son village se réveillait en lui : il ressentait soudain un appel à ordonner sa vie. Non qu’il devienne l’ennemi de ses plaisirs d’hier, mais il souhaitait qu’ils commencent à porter fruits : il voulait des enfants. Pas qu’un seul, mais un nombre important d’héritiers, de quoi honorer ses ancêtres, et éviter de les « insulter », suivant l’adage – « des trois manières d’insulter les ancêtres, rester sans enfant est la pire » (不孝有三,无后为大 – bùxiàoyǒusān, wúhòuwéidà)». D’autant plus que pour supporter économiquement une grande famille, l’argent n’était pas un problème pour Zhang Mou !
Ce qu’il lui fallait, c’était deux… ou trois compagnes ! Or dans sa vision nouvelle et moralisée de l’existence, il ne pouvait s’accommoder d’avoir des amantes clandestines, des « petits miels »(小蜜, xiǎomì) dépourvus du statut de compagne légitime, il voulait les épouser. Mais comment concilier cela avec la loi nationale, qui bannissait sans la moindre ambiguïté la bigamie –et à plus forte raison la polygamie?Il fallut à Zhang Mou trois ans pour trouver la solution, en se basant sur une analyse fine de la législation en vigueur. Bientôt en effet, l’habile manager découvrait que le pays ne tenait pas de fichier national des mariages : l’enregistrement était dévolu à chacune des 30 provinces. Il commença donc par convoler en justes noces à Kunshan avec mademoiselle Ren, 25 ans, en juillet 2015. A peine la belle installée dans un loft loué dans le quartier de Xiaohe, il lui expliqua qu’il devait se rendre quelques semaines à Luoyang pour y ouvrir une filiale de son agence. Sur place, il se fit présenter par sa mère qui ignorait son mariage, la jolie Chen Lanfen, 28 ans, qu’il épousa en juin 2016. Sans perdre de temps, il la ramena à Kunshan, pour l’installer dans un superbe appartement qu’il louait, à 10 minutes à pied du premier nid d’amour.
Après quelques semaines à mettre en place ce nouveau rythme nuptial avec ses deux femmes, il repartait infatigable à quelques heures de voiture pour l’Anhui, toujours sous prétexte d’élargir son réseau d’affaires en ouvrant un nouveau bureau. Là, il n’eut aucun mal à rencontrer Wang, 25 ans, l’avenante fille d’un avocat qui rêvait de longue date de fonder une famille avec un homme de sa trempe. Il sut conquérir son cœur en dépensant sans compter, tout en lui déclarant qu’elle pouvait avec lui « faire un enfant en toute confiance et sans retard ». Les noces furent actées tambour battant en juin 2017, au bureau des mariages de la mairie de Hefei. Puis la belle Wang repartit, au bras de son mari, pour Kunshan où l’attendait un pied-à-terre de 160 m2 dans le quartier de Jiaoli, à moins d’un kilomètre de ses deux « sœurs de destin » dont elle ne soupçonnait pas l’existence.
1 Commentaire
severy
5 janvier 2020 à 18:27Il est à espérer que ce Céleste microcéphale fût bâti à l’image de Colleoni s’il comptait parvenir à satisfaire les envies progénituresques de ses conquêtes matrimoniales…