Petit Peuple : Yunhe (Zhejiang) – L’auberge espagnole de Yao Nanshan (1ère partie)

Pour Yao Nanshan, orphelin du Zhejiang, 1983 fut l’occasion d’une symbolique renaissance, au moment où il franchit le sas d’embarquement du vol CAAC vers Madrid avec escales, interminable périple aux multiples escales. Il venait de passer ses 36 premières années (fades et sans joie) entre Qingtian, sa colline aux terrasses de rizières, et Wenzhou la capitale provinciale.

Son père et sa mère ayant décédé quand il était encore tout petit, un oncle l’avait recueilli et placé, en guise d’école, en apprentissage dans une longue série d’ateliers marrons de piratage industriel, dont le principal attrait, pour l’oncle était de l’accepter sans frais—ni salaire. Jeune adulte 10 ans plus tard, Yao ayant touché à 100 petits boulots se retrouvait sans diplôme, condamné à des emplois précaires et mal payés. Comme toute sa génération, il rêvait d’Amérique et de nouveau départ, avec fortune et libertés à la clé…

Dur à la peine, il avait de la suite dans les idées : dans ses emplois suivants, longtemps, il épargna et se priva de tout, même d’une vie en ménage qui eût ruiné ses chances de nouveau départ.

Temple national du produit copié, Wenzhou était aussi un tremplin d’émigration vers l’Europe, Espagne entre autres destinations. Ceux qui y parvenaient envoyaient des mandats à ceux restés au pays et quand ils pouvaient, les faisaient venir. Par de telles relations, au bout de quelques années, son père adoptif parvint à lui décrocher un job à Séville, chez un cousin. Yao était prêt, doté d’un moral d’acier et de son pécule, arrondi par les largesses du clan.

Près de la tour de la Giralda, dans la perle de l’Andalousie, Yao fut cuisinier en restaurant – chinois, cela va de soi. Pour 15 heures par jour de plonge et de suée sur ses fourneaux, son patron lui assurait un salaire légal, une chambrette sous combles, et surtout le titre valant de l’or, le permis de travail d’un an renouvelable –on était dans cette époque d’or, aujourd’hui révolue, où les pays d’Europe, en pleine prospérité, encourageaient l’immigration. Avec lui, son généreux patron, un cousin éloigné, n’en était pas à son coup d’essai : en 20 ans, il avait fait venir plus de 40 garçons et filles, tous et toutes de Qingtian, qui lui vouaient une fidélité aveugle.

Durant un an, il trima à hacher le porc et les poireaux des raviolis, à effiler les blancs de poulet qu’il faisait rissoler au piment rouge et à la cacahuète. Pendant ce temps, il s’initiait à l’espagnol, mettait toujours de côté son salaire et se faisait un réseau d’amis andalous et chinois. Il avait une idée derrière la tête.

En 1986, il fit venir de Qingtian Xiangyun, qu’il épousa—mariage arrangé à distance par une entremetteuse. Secondé par cette fille aussi travailleuse que lui, Yao ne tarda pas à se mettre à son compte. Sa table était savoureuse et parmi les moins chères de la ville. En cinq ans, ils ouvrirent toute une chaîne de restaurants offrant bonne chère et prix bas. Suivant la recette immuable du clan, le couple continua à faire venir en 25 ans, pas moins de 200 jeunes du Zhejiang. Il leur mettait le pied à l’étrier et cette source de travailleurs lui offrait, face à la concurrence, un atout salarial imbattable… A 60 ans, Yao et Xiangyun étaient millionnaires et leurs enfants déjà grands, mariés, avec de belles carrières professionnelles.

Mais le destin voulut qu’en 2010, Xiangyun décéda d’un cancer non détecté à temps – elle détestait les médecins, y voyant une perte de temps.

Dans sa solitude, Yao commença à se voir hanté d’un nouveau rêve, bien chinois : celui d’un retour au pays, pour y finir ses jours et y reposer pour l’éternité. Selon le proverbe, il fallait que « yè luò guī gēn » (叶落归根), « les feuilles retombent près des racines de l’arbre » – que le voyageur s’en retourne au pays !

Mais ce désir, il eut d’abord du mal à l’assumer, voyant les risques : fallait-il vraiment quitter ce confortable train de vie conquis à la dure, ces soirées entre amis qu’il adorait ? Et ses enfants qu’il verrait moins souvent ? Et puis, en retournant au village, était-il si sûr d’être bien accueilli ? N’allait-on pas l’assaillir de demandes cupides de payer les études, la voiture, l’appartement d’un tel ou d’une telle, au titre du prix à payer pour le retour au clan ?

Yao vivait donc ce dilemme impossible, et au fond, il n’osait pas sauter le pas, craignant de se montrer ingrat vis-à-vis d’un destin qui s’était montré si prodigue de bienfaits.

En mars 2013, Jin Zhihua, son ami, eut une idée géniale pour l’arracher à cette valse-hésitation : il lui proposa un voyage d’« études » en son Zhejiang, non dans sa montagne natale où il risquait d’être trop sollicité, mais dans celle de Yunhe, à quelques kilomètres, là où il serait incognito. Enthousiaste, Yao accepta.

À destination, ils furent séduits par la beauté du site aux 700 terrasses jusqu’à 1400m d’altitude suivant les courbes de niveau, aux fermettes cholées aux toits de brique grise, aux tons argent ou vert incandescent, aux bouffées de brumes et de nuages accrochés aux cimes.

La première journée à Yunhe se déroula à merveille. Une fois éteints les derniers rayons sur les rizières, ils constatèrent qu’il était trop tard pour le dernier bus pour Lishui, la ville à 67km – il faudrait passer la nuit sur place. Et pourquoi pas chez Liu Lijuan, une veuve avenante et bien élevée, dont Jin avait commencé à lui faire l’éloge ? C’était à deux pas… Ils s’y rendirent, cognèrent à son huis !

Le stratagème de Jin Zhihua devient transparent : Réussira-t-il ? rendez-vous la semaine prochaine pour l’épilogue.

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