Le 30 décembre, Xi Jinping, n°1 du pays, du Parti et de l’armée, présidait le dernier meeting de l’année 2015 du Politburo. Aux 25 membres, il intima de renforcer la loyauté envers le Comité Central, de « surveiller leurs familles » sur le risque de corruption, et de ne « jamais se sentir supérieur, du fait de leur pouvoir ». Il les adjura aussi de garder « foi dans le marxisme… et dans la ligne des masses ». Puis il força chacun à prononcer son autocritique.
Depuis Mao, c’était le premier « meeting de critique et d’autocritique entre camarades ». La démarche était renforcée par la parution, la semaine précédente, d’un livre des pensées de Xi (de ses discours inédits) et d’une chanson de propagande au style rap intitulée « diriger strictement le Parti ». Dans le livre, Xi affirme rejeter tout « certificat d’acier d’immunité » (丹书铁券, dān shū tiě quàn ) ou « roi au chapeau de fer » (铁帽子王, tiě màozi wáng) – tout passe-droits ou privilèges aux hauts membres du régime.
Tout ceci vient à la veille de la 6ème Conférence de la CCID (commission anticorruption, 12-14 janvier). Présidé par Xi, l’événement fait présager un durcissement de l’anticorruption – d’aucuns prédisent même le lancement d’unecampagne de rectification. Il verra aussi la nomination d’un tout jeune vice-président de la CCID, Li Shulei, à 51 ans : ancien prodige d’études (entré à l’université Beida en 1978 à 14 ans), il a rédigé de nombreux discours de Xi, dont il est un lieutenant fiable.
Toujours dans cette obsession de contrôle universel, Xi s’active sur tous les créneaux :
– celui de la diplomatie, qu’il forge jour après jour (ayant visité 14 pays en 2015, record historique national pour un chef d’Etat),
– celui des provinces, qu’il visite sans cesse (avec dès le 3 janvier, un premier voyage à Chongqing),
– celui des affaires religieuses (il avertit contre la superstition féodale),
– celui de l’économie
– celui de l’internet (avertissant en décembre que la censure est légitime et bénéfique à tous les pays)…
Face à l’APL spécialement, l’effort de contrôle est patent. Le 30 décembre encore, il rendait faisait halte au Quotidien de l’Armée, où depuis un terminal, il adressait ses vœux aux millions d’hommes sous les drapeaux. Il venait de faire nommer trois de ses proches à la tête d’organes juste remodelés—Etat-major général, Forces de soutien stratégique et Forces Balistiques. Il faisait aussi annoncer le chantier d’un nouveau porte-avions à Dalian (50.000 TJB, sur des plans soviétiques, sous motorisation diesel et pont en sabot, faute de catapulte). Ordre était aussi donné aux consortia publics de recruter en priorité les 300.000 soldats démobilisés.
Ici encore, Xi empruntait au Grand Timonier une démarche révolutionnaire des années 1952-1953. Devant l’armée le 31 décembre, lors du lancement des nouvelles structures de commandement, il prononçait un « précepte », discours comminatoire pour rappeler l’obligation de loyauté et d’« obéissance active » à ses ordres. Toutes ces annonces encadraient la grande restructuration militaire qui se met en marche. Mais dans l’armée comme ailleurs, Xi cherche à s’assurer une fidélité aveugle.
Toutes ces actions prêtent à réflexion. Des commentateurs comme le Pékinois Zhang Lifan y voient une suite nécessaire à la campagne anti-corruption, cherchant à contenir les excès du corps des inspecteurs, qui profiteraient de leurs prérogatives pour casser leurs ennemis ou pour servir leurs intérêts propres.
D’autres analystes remarquent que cette hyper concentration des pouvoirs comporte un risque pour le régime : celui de ne faire parvenir à Xi Jinping, derrière ses hauts murs de Zhongnanhai (le siège du Parti), que les « bonnes nouvelles » tout en occultant les mauvaises – déjà trois hauts cadres ont perdu leur poste pour avoir « posé des questions qui ne devaient pas l’être ».
Plus fondamentalement, la nouvelle gouvernance autoritaire risque d’enterrer les principes du pouvoir collectif et du débat interne, donc l’héritage politique de Deng Xiaoping. Pour d’autres enfin, un des objectifs est d’en finir avec les factions au sein du Politburo, et le lobbysme des corps constitués (police, armée, conglomérats et familles historiques).
La dernière rumeur n’est pas la plus banale : l’adversaire visé serait rien moins que Jiang Zemin, l’ancien Président (1989-2002). Les chutes de ses célèbres alliés (Zhou Yongkang, Xu Caihou, Guo Boxiong, ou Bo Xilai), ont été suivies par celles d’un ex-secrétaire, Jia Tingan, et d’Ai Baojun, l’ex-vice maire de Shanghai intime de son fils Jiang Mianheng. Autour de l’ex-empereur rouge, le filet se resserre…
La rumeur présente aussi un objectif à cette traque : déstabiliser le corps des 2000 ou 3000 sexagénaires de la hong’er dai (« seconde génération rouge »), qui protègent Jiang, pour préserver leurs privilèges de clan. Faire chuter Jiang, serait diviser cette caste et briser son barrage pour laisser passer les réformes.
Alors, Xi Jinping, autocrate sans état d’âme, ou bien stratège d’une Chine à réinventer ? On a peut-être un indice dans le sort de la statue dorée géante (37m) de Mao, que le canton de Zhushigang (Henan) faisait bâtir. Sur ordre supérieur, elle a été dynamitée sans tambours ni trompettes, le 7 janvier. Comme pour dire que si certaines méthodes du Timonier peuvent faire un come-back momentané à des fins ciblées et pragmatiques, le retour à son idéologie reste proscrit.
Sommaire N° 1 (2016)