L’année 2016 débute sous des auspices difficiles, de récession et d’exacerbation des conflits mondiaux. Pour la Chine (comme pour le reste du monde), une nouvelle phase d’histoire s’ouvre, avec l’obligation d’inventer de nouvelles règles. Ce qui peut expliquer la nervosité du régime, et son parti-pris d’innover chaque fois que possible, sans céder de son pouvoir aux classes émergentes.
Mais revoyons le film des trois dernières semaines :
– A Shenzhen le 20 décembre, un glissement de terrain détruisait 33 immeubles, emportant la vie de 64 ouvriers et résidents. Ses causes, identiques à celles de l’accident de Tianjin en août 2015 (indiscipline, corruption), suggèrent que loin d’être un phénomène isolé, le problème est national, lié à un mode de gouvernance. En attendant les résultats de l’enquête, 11 cadres ont été arrêtés.
– Jusqu’au 2 janvier dans le Nord de la Chine, la pollution de l’air a une fois de plus battu tous ses records, entre 200 et 600 microparticules 2,5/m3 en moyenne : 10 métropoles et le Shandong entier ont été placés en alerte rouge, forçant ainsi la fermeture des écoles, d’une partie du trafic et de l’économie. En soi, c’est déjà un tournant -la première alerte rouge historique à Pékin avait été décrétée le 7 décembre. Désormais, de fortes mesures vont suivre, dans la capitale d’abord. Pékin délocalisera sa mairie à Tongzhou et taxera les véhicules sur divers axes selon les heures. Nationalement, les usines seront surveillées par drones, satellites, capteurs — un superordinateur analysera toutes ces données (« big data ») pour frapper les contrevenants potentiels, de façon préventive. Un commando de choc est lancé sur le Hebei (5 janvier), dirigé par 2 vice-ministres de l’Environnement et suivi d’inspecteurs de l’anti-corruption et de cadres du Département de l’Organisation – celui qui administre nationalement les promotions. Ailleurs entre Nord-Est, Centre et Ouest, l’Etat veut bâtir 10 méga villes en 5 ans, assez planifiées et équipées des meilleurs hôpitaux universités et emplois pour inciter les migrants à venir. Face à la pollution, après 60 ans, on ne plaisante plus.- Le même souci de crédibilité est visible dans la lutte anticorruption qui fait rage. Au palmarès de 2015, sont tombés 37 ministres et patrons de provinces, 270 juges dont 42 secrétaires du Parti ou présidents de leur tribunal. Chang Xiaobing, ex n°1 chez China Unicom, attend son procès pour une ristourne de 120 millions de $ à des « copains » sur la vente de bureaux. Li Xiaolin, fille de Li Peng, dite la « reine de l’énergie », quitte la tête de China Power, son fief. C’est la 1ère mise à l’écart, sous Xi Jinping, d’un membre de la « hong’erdai » (红二代, « seconde génération rouge »).
– Enfin, une bonne nouvelle au peuple, l’Etat peaufine son offre aux migrants d’un statut de citadin avec tous les droits sociaux impliqués. A Pour Pékin, ce statut ira aux moins de 45 ans, pouvant justifier de 7 ans de taxes acquittées et d’un emploi. Il sera octroyé sur un quota annuel, sur base des bons points obtenus : être bachelier vaut 15 points, et docteur 39. De cette manière, un quart des 8,2 millions de migrants de Pékin n’ont aucune chance. C’était inévitable : les coûts d’intégration dépassent de très loin les moyens des villes. En fait, c’est le système du « crédit social » qui est ici testé, 4 ans avant son introduction nationale. Chaque migrant recevra sa note morale annuelle, établie sur la base de sa conduite relevée sur internet (impôts, amendes, crédit bancaire, opinions exprimées…). C’est le même ordinateur qui suivra la pollution des usines. Cette nouvelle gouvernance, tout sauf démocratique, est ainsi proposée au nom de la saine gestion du denier public et du bien-être collectif.
Sommaire N° 1 (2016)