Société : Trois regards sur l’avenir en Chine

– Une tendance forte de l’avenir de la Chine est la robotisation partout visible : dans l’industrie, les hôpitaux, les commerces ou les restaurants. En 2014, 57.000 robots s’y sont vendus, 55% de plus qu’en 2013, 25% du parc mondial. En 2018, ils seront 614.000, un tiers de la planète. L’équipement est soutenu à coup d’incitations du pouvoir central, soucieux de voir son industrie gravir l’échelle de valeur ; et des provinces, surtout du Sud et de la côte, régions en manque de salariés. D’ici 2018, le Guangdong versera 128 milliards d’euros aides à la R&D de ses centaines d’usines de robots, afin de maintenir son avance dans ce secteur, et de protéger son industrie de centres industriels rivaux à travers l’Asie. Ce « personnel non humain » qu’il vise à installer partout, remplaçant l’homme, n’est pas salarié ni syndiqué, il travaille 12h à 18h par jour, 350 jours par an (le reste étant dédié à la maintenance), et il n’est pas censé faire d’erreurs.

Au niveau national, la NDRC et du ministère des Finances, viennent de publier un plan quinquennal pour renforcer la production de composantes de robots, senseurs et servomoteurs, et pour consolider la recherche dans 10 spécialisations comme la nano-soudure, la chirurgie assistée, le nettoyage à vide, le multiservice et l’autoprogrammation… Mais Luo Jun, expert dans un centre de recherche public, constate un « retard » face aux programmes de robotisation de Corée ou des USA entre autres, et de groupes tels Samsung ou Google qui investissent directement en intelligence artificielle, pour préparer leur prochaine génération de robots. 

– Tendance liée ou non, l’emploi souffre, même celui qualifié. De septembre 2015 à janvier 2016, comparé à 12 mois plus tôt, les secteurs de l’énergie et de la mine ont réduit de 91% leur embauche, et l’industrie de 83%. De ce fait, le chômage monte en flèche… Selon une étudiante de la prestigieuse université Renmin à Pékin, seule la moitié de sa promotion 2014 avait trouvé du travail fin 2015. Et en juin prochain, les 7,65 millions de nouveaux jeunes diplômés auront du souci à se faire.

Par bonheur, au même moment, les offres d’emplois dans l’internet et l’e-commerce ont presque triplé, et quadruplé dans les services « traditionnels ». Avec un léger bémol toutefois, relevé par Yuan Guiren, ministre de l’Education : entre les cursus des universités et les talents attendus par les firmes, l’écart persiste. Ce qui manque aux jeunes pourrait davantage tenir à une disposition d’esprit qu’à des savoirs techniques : l’initiative, la capacité de travail en groupe, l’indépendance de réflexion et l’esprit de synthèse. Ces choses sont peu enseignées dans les écoles chinoises, qui privilégient l’analyse, le cours magistral et l’acquisition passive des connaissances.

– Tout en développant rapidement l’usage des robots, la Chine se prépare à une autre révolution, en fait de gouvernance celle-là : l’octroi à tout individu d’une note morale dite « crédit social ». En partie calculée grâce aux « big data » (les données individuelles rassemblées sur internet), cette note morale devrait être opérationnelle d’ici 2020 à travers le pays.

À quoi servira-t-elle ? Shanghai vient de soulever le coin du voile en annonçant qu’au 1er mai, tout jeune adulte vivant séparé de ses parents, devrait « leur rendre visite ou envoyer ses vœux » fréquemment, sous peine de retrait de points à son crédit social. De prime abord, les conséquences annoncées seront bénignes, comme la radiation de la bibliothèque de quartier… Mais d’autres sanctions sont envisagées, tels l’interdiction de crédit bancaire, de permis et licences diverses, la radiation à l’entrée dans divers emplois publics, voire la baisse de l’indemnité de chômage, qui serait donc modulée en fonction de la note de crédit social.  

Cette disposition transcrit l’échec d’une loi de juillet 2013 « de protection des droits et intérêts du 3ème âge», qui impose aux jeunes de rendre « fréquemment » visite aux parents, et de veiller à leurs besoins financiers et affectifs.

La loi s’était avérée inapplicable, faute d’avoir précisé la fréquence des visites et les sanctions en cas de refus. Problème sans doute le plus aigu dans Shanghai, ville la plus riche mais aussi la plus vieille de Chine, venant de voir le nombre de ses sexagénaires franchir la barre des 30% de sa population : il sont 4,36 millions actuellement, et seront 6 millions en 2025. A Shanghai, les jeunes, actifs comme chômeurs, ne viennent pas beaucoup voir leurs parents – probablement suite au grand écart de valeurs entre ces générations, les « vieux » restant souvent prisonniers d’un passé douloureux qui les inhibe, tandis que les jeunes sont plus individualistes.

Cependant bien sûr, les risques associés à cette démarche de piété filiale imposée, apparaissent clairement. Ce crédit social, encore dans les langes, peut devenir un outil puissant, à condition d’être accepté par la population. Mais le fait de le présenter comme un levier autoritaire sur l’individu, affaiblit ses chances. En interférant dans les relations familiales, l’Etat espère contraindre les jeunes à un choix qu’ils n’ont pas fait. Or, faute de venir du cœur, ce service imposé ne pourra améliorer le lien affectif.

On croit sentir dans cette astreinte, le rêve de la génération au pouvoir, celle des sexagénaires, de rétablir en Chine des valeurs confucéennes, par opposition à celles de l’Occident. Quoiqu’on doive en penser, l’expérience tentée à Shanghai doit être interprétée pour ce qu’elle est : un test « de laboratoire », pour gérer une société chinoise dont le vieillissement annoncé, est « pour demain ».

 

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