Divulguée le 4 avril par un syndicat de médias étrangers à travers le monde, la nouvelle des « Panama papers » n’avait rien d’un scoop : dès 2012, l’état de fortunes de dirigeants chinois, en partie entreposées dans des paradis fiscaux tels les Iles Vierges Britanniques (BVI) ou Samoa, avaient été révélées par Bloomberg et le New York Times. L’affaire des « Panama papers » a cependant apporté de nombreuses précisions utiles sur ce circuit occulte. Elle offre aussi un regard planétaire sur cette pratique délictueuse adoptée par tant de grands de ce monde : 16.300 sociétés offshore sont épinglées, issues des 5 continents, à charge du cabinet panaméen Mossack Fonseca. Elle permet donc d’éviter de diaboliser un pays ou une idéologie, et au contraire d’éclairer une pratique contemporaine mondiale, et son préjudice en trillions de dollars.
L’information a « fuité » en 2015 via un disque dur de 11,5 millions de fichiers adressés (anonymement) au journal allemand « Süddeutsche Zeitung ». La méthode retenue par ce média pour valoriser l’information, a été très innovante, comparable aux démarches de Wikileaks (J. Assange) et de E. Snowden : 300 journalistes de 107 média (76 pays) ont été contactés et se sont partagés les fichiers pour complément d’enquête, avant de publier données et analyses ce 4 avril. De la sorte, les journalistes et leurs journaux ne pouvaient être victimes de rétorsion sous chef d’accusation d’intention malicieuse ou partisane. Ainsi, une plateforme mondiale d’information sur des activités internationales occultes, est née, capable de résister aux pressions.
La Chine émerge ici premier client mondial du cabinet Fonseca, avec 29% des sociétés offshore abritant les fonds évadés. Parmi les centaines de noms dévoilés, figurent les proches de membres du Comité Permanent, actuels (le Président Xi Jinping, Zhang Gaoli, Liu Yunshan), ou passés (Jia Qinglin, Li Peng, Zeng Qinghong, Tian Jiyun, Wen Jiabao, Hu Yaobang). On y retrouve aussi les noms du mari d’une petite-fille de Mao Zedong, et celui de Gu Kailai, l’épouse de Bo Xilai, tous deux en prison, elle pour meurtre et lui pour corruption.
En 2007, un agent chinois du cabinet panaméen justifiait l’existence du circuit offshore par le besoin de « contourner les barrières à l’investissement à l’étranger ». Aujourd’hui, on constate que ce type d’investissement, offert par bon nombre de cabinets d’affaires et de banques internationales, n’a rien d’illégal, et ne couvre pas toujours des agissements frauduleux. Mais ce circuit s’accompagne toujours de montages compliqués, indirects, faits pour protéger des fonds à l’origine souvent inavouable.
A travers le monde, les investisseurs dévoilés ont eu trois types de défense : le déni frontal, l’allégation que leur société offshore était déjà fermée depuis des lustres, et la dénonciation de l’anonymat du délateur, qui pourrait recouvrir la CIA ainsi qu’une manipulation — comme suggéré par le quotidien pékinois anglophone Global Times.
La Chine a réagi avec embarras, son porte-parole se refusant à tout commentaire. La censure a été hyperactive pour gommer toute référence sur internet. Elle a réussi à étouffer l’affaire en moins d’une semaine, faute d’éléments nouveaux pour nourrir l’analyse.
La réaction la plus intéressante a été celle de Wang Qishan, président de la police du Parti (CCID) et maître de la campagne anticorruption : Wang s’est refusé à tout commentaire, plaidant qu’il devait d’abord étudier ces dossiers pour comprendre le phénomène. En effet, ses enquêteurs pourraient aisni récupérer des données précieuses, pour épingler en temps utile des évadés fiscaux chinois.
Pour le régime toutefois, cette publication est assurément dérangeante. Les noms publiés reflètent toutes les tendances, celle du pouvoir suprême, mais aussi celle de lieutenants de Jiang Zemin et de Hu Jintao, les prédécesseurs de Xi Jinping. Elle établit que tout cadre, une fois accédé au pouvoir suprême, est susceptible de voir sa famille accumuler des milliards de yuans de patrimoine, du fait de leur pouvoir, de leur accès au crédit, au droit du sol, de leur immense carnet d’adresses n’ayant rien à leur refuser, et de l’impunité totale conférée par la censure et la justice dépendante.
L’origine du problème est donc systémique—l’absence d’outils de contrôle, source de la corruption. Faire régner le silence sur l’affaire et pratiquer le déni, ne peut que retarder mais non empêcher la propagation de ce constat, forcément porteur d’une perte de face et de légitimité pour le régime. Le désarroi face à ces révélations a été bien exprimé par Hu Dehua, homme d’affaires, fils de l’ancien Premier secrétaire Hu Yaobang, qui a clamé son innocence tout en menaçant de procès en diffamation.
Quelles suites le régime donnera-t-il à cette affaire ? Impossible à ce stade, de le dire. Mais ce qui est en cause, est la pratique d’enrichissement ultra-rapide de la classe dirigeante, couplé à une sécurisation de cette fortune à l’étranger. Ses jours sont peut-être comptés à partir de maintenant : l’éclatement de l’affaire rappelle que même sur des pratiques répréhensibles intervenant en Chine, la presse et la justice fonctionnent à plein. Dès lors, pour prévenir la répétition de tels problèmes, le régime va devoir modifier son mode de fonctionnement, selon trois paramètres :
– conformer ses modes d’enrichissement avec la loi,
– bloquer l’évasion hors frontières de fonds litigieux,
– ou laisser sa presse et sa justice traiter ses grandes familles à pied d’égalité avec le reste de la société.
1 Commentaire
severy
6 mai 2016 à 14:43On en vient à se demander si, au vu de l’intense niveau de corruption de certains ses dirigeants, le Parti est encore capable de voir rouge.