Editorial : Les méandres d’une économie chinoise chauffée à blanc

Par rapport aux craintes du début de l’année, la Chine économique se porte nettement mieux. Au dessus des 3000 points d’indice, la bourse est gaillarde. Hypermarchés et avions sont remplis, tout comme les camions de livraison de produits commandés sur internet. Le FMI promet une croissance de 6,5% pour l’année, et la Banque Centrale cesse de soutenir le yuan – la fuite des capitaux semble enrayée.

Et pourtant, le FMI avertit, dans un rapport du 13 avril d’une rare nervosité : est-ce une convalescence ou une rémission ? Après un an d’austérité contre le crédit gris, la Banque Centrale a relancé la planche à billets : la masse monétaire « M2 » a atteint 20.000 milliards de $, 200% du PIB. Le choix semble avoir été de reporter la crise : retarder les fermetures d’usines, relancer le marché immobilier par le crédit. 

De ce fait en janvier-février, les prêts atteignaient 650 milliards de $, +23%. La dette augmentait de 10%, à 260% du PIB. Les profits des entreprises ont baissé plus vite que les taux d’intérêts. Leur délai moyen de paiement aux fournisseurs est de 72 jours. Ceci les force à emprunter toujours plus, à seule fin de rééchelonner les dettes.

Selon le FMI, les dettes à risque (où les profits ne couvrent pas le paiement des intérêts de l’emprunt, sans parler du remboursement du principal), ont augmenté de 15,5%, à 1300 milliards de $, dont 756 milliards en pertes potentielles. Elles atteignent même 39% dans l’acier, ou 35% dans la mine et la distribution, 18% dans l’industrie et le transport. Le risque, selon le FMI, serait une hausse abrupte du coût du crédit en 2017, puis sa disparition suivie d’un désendettement dans le désordre « endommageant la stabilité financière ». 

La cause de cet engrenage est connue : le report depuis trois ans des réformes promises au 3ème Plenum de novembre 2013, pour briser les privilèges des consortia et laisser au marché un plus grand rôle dans l’allocation des crédits.
C’est peut-être le niveau local qui bloque, les provinces refusant d’abandonner « leurs » grandes entreprises. C’est aussi le fait d’avoir concentré les rênes du pouvoir dans des « Commissions centrales » aux mains du chef de l’Etat, hors des institutions normales, Comité Central et Conseil d’Etat.

Dans ce tableau troublé, une nouvelle plutôt bonne se détache : l’émergence de la « génération lunaire » (月光一族 yuèguāng yīzú) des jeunes adultes, ainsi romantiquement désignés pour leur propension au découvert bancaire en fin de mois. Ces dizaines de millions d’actifs dépensent jusqu’au double de leurs salaires, soutenant ainsi la consommation. De ce fait, la dette des ménages frise les 65%, contre 35% en 2007, selon l’Institut des finances internationales.
Beauté du système : la Chine aux cheveux blancs épargne toujours plus, 46% du PIB en 2015 (3ème rang mondial des bas de laine). Or, ces parents viennent à la rescousse de leurs enfants dépensiers, mettant la main au porte-monnaie.

De la sorte, on voit deux nouveaux mécanismes parallèles fonctionner en cercle vertueux. La jeunesse chinoise s’arrache à un réflexe millénaire, celui de l’épargne pour la survie de demain, et se tourne vers le plaisir immédiat – c’est peut-être pour ce pays trop  longtemps austère, la redécouverte du droit au bonheur. En même temps, l’épargne des parents permet d’éponger l’excès consumériste de leur enfants. Et pour l’instant, cela marche. Mais reste à savoir si ce circuit bénéfique exercera une résistance suffisante à la tempête qui se prépare, contrecoup des atermoiements du régime.

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