Art : Ni Youyu, artiste-explorateur

Ni Youyu, artiste-explorateur

Peinture, sculpture, installation, collage, ready-made… qu’importe le media pourvu qu’il réponde au mieux aux questionnements de l’artiste. Interrogeant la relation de l’homme au temps, à l’espace et à la nature, Ni Youyu (倪有鱼) mène une quête immémoriale entre les brocantes du monde entier et son atelier shanghaien.

Diplômé en 2007 de la Shanghai Academy of Fine Arts, Ni Youyu commence sa carrière artistique avec la peinture traditionnelle chinoise et la calligraphie, dont il conservera la technique méticuleuse dans l’ensemble de son œuvre. Très vite, sa curiosité insatiable le pousse à expérimenter d’autres pratiques, s’essayer à des techniques et des médias variés, élargir son spectre afin d’élaborer sa propre vision artistique, afin d’aborder des questions « que tout le monde se pose depuis la nuit des temps », affirme-t-il.

Solar System, 2015

Son thème de prédilection ?  La place de l’homme dans l’univers. « Ce qui sera toujours contemporain, c’est la façon de répondre à la plus ancienne des questions de l’humanité…L’univers est commun à l’homme et à l’artiste. Mais en tant qu’artiste je dois apporter une opinion, une perspective différente, car faire de l’art a, et apporte, du sens », explique Ni Youyu.

L’artiste se joue de la relation au temps par l’espace : sa série « Inch of time », règles en bois constituées d’erreur de mesures, car « basées sur son ressenti de ce qu’est un centimètre ou un millimètre », considère par exemple la relation entre « temps et distance » et son rapport à la norme. Basées sur le ressenti, ces règles deviennent des sculptures autonomes.

Dust, 2015

Ni Youyu explore aussi la galaxie, à partir de photos de la NASA ou de l’artiste Thomas Ruff, il la « recopie » minutieusement sur des tableaux en bois noir, avec le matériau le plus pauvre : la poussière. Sa série « Dust », dont chaque œuvre nécessite entre 300 et 400 heures de travail, est proche d’une pratique méditative, à travers laquelle l’artiste repositionne exactement chaque étoile sur son tableau.

Mais Ni Youyu consacre également un temps incalculable à écumer l’univers… des brocantes du monde, afin d’y collecter des milliers de photographies. Des images anonymes, en noir et blanc, représentant des paysages, ou des scènes de vie aux époques oubliées, qu’il essaie ensuite de lier entre elles, afin de créer des scènes imaginaires. Mais des années peuvent s’écouler pour qu’une photo s’accorde à une autre… Un temps nécessaire pour trouver « le » lien. « Ces images proviennent du Japon, de Londres, New York, Bruxelles, Paris, Berlin…  Lorsque je trouve la connexion entre deux photos qui appartiennent à des siècles différents, des lieux si variés mais pourtant qui semblent en parfaite harmonie, c’est beau… et troublant », confie l’artiste.

The last sunset in the Museum 博物馆的余晖, 2019

La découverte de sa technique « Golden Water Washing » – désormais sa signature – est aussi le fruit d’une trouvaille, qui est depuis devenue un outil essentiel dans sa recherche esthétique sur le temps. En effaçant à l’eau certaines parties de ses ébauches en acrylique, Ni Youyu s’intéresse aux traces qui persistent sur la toile, les « fausses marques de vieillissement » qui insufflent une allure vieillie et rugueuse à ces parties du tableau, au fond et à la forme. C’est un déclic, devenu une recherche assidue d’équilibre entre ces deux parties de l’œuvre, qu’il mêle au fil de ses tableaux. La série « Deceptive Light » conçue selon cette technique, à l’allure précieuse, a été réalisée avec de simples pigments dorés – et non des feuilles d’or, comme on pourrait le supposer.

Ancient Archive Specimen – Rearrangement, 2019 古标本籍 维护中

Représentations de musées imaginaires aux œuvres fictives, les toiles troublent le rapport au temps et au réel. « Elles ne sont qu’illusion », précise Ni Youyu. Là où la lumière devrait « éclairer », elle éblouit, et déçoit… Une évocation du mythe de la caverne de Platon ?

Forêts, galaxie, espaces imaginaires, aveuglants et à tendance hostile… L’artiste situe l’homme dans sa grande solitude et sait l’ancrer dans l’époque contemporaine. Sans cesse inspiré d’idées nouvelles qui surgissent brusquement de sa vie quotidienne, Ni Youyu les emmagasine dans ses innombrables carnets de croquis, dont il ne se départit jamais. « Je voulais devenir écrivain avant » avoue-t-il. D’ailleurs c’est ainsi qu’il conçoit ses expositions : un livre dont chaque œuvre serait un chapitre.

Ni Youyu est né en 1984. Il vit et travaille à Shanghai. Il a reçu le prix « Contemporary Chinese Art Award » en tant que « Meilleur artiste émergent » en 2014. Il est représenté par la galerie Perrotin en Asie et la Galerie Obadia à Paris.

Par Caroline Boudehen

IG: @caromaligne

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