Art : Tintin, de retour à Shanghai !

Tintin, de retour à Shanghai !

À Shanghai, grâce aux efforts conjoints du Musée Hergé et du Power Station of Art, l’exposition Tintin et Hergé offre du 6 août au 31 octobre l’occasion unique de partir en voyage sur les traces d’un dessinateur de génie et de son personnage fétiche, mondialement connu et apprécié.

Voyage intérieur dans le monde d’Hergé d’abord, dessinateur d’affiches publicitaires, amateur de peinture, homme d’image qui découvre avec la bande dessinée un mode d’expression à sa convenance.

Voyage dans les studios d’Hergé ensuite, à la découverte du « travail d’horloger », selon ses propres mots, nécessaire à la création d’une bande dessinée. Chaque planche originale exposée révèle le grand talent d’Hergé, à la fois romancier de l’image et virtuose du crayon.

©️ Hergé – Moulinsart 2021

Voyage enfin dans l’univers de Tintin (丁丁, Dīngdīng) : l’appartement bruxellois du fameux reporter, le château de Moulinsart, le dragon du Lotus Bleu. Une salle entière est d’ailleurs consacrée à cet album, et les nombreux documents exposés témoignent de son importance dans l’œuvre d’Hergé. Il s’y cache deux rencontres précieuses, celle bien réelle d’Hergé avec un artiste chinois de son âge, venu parfaire ses études d’art à Bruxelles, un certain Tchang Tchong-jen ; et celle présente dans l’album, rendant hommage à la première, entre Tintin et un petit orphelin sauvé de la noyade, appelé Tchang Tchong-jen par clin d’œil à son homonyme réel.

En 1934, à raison d’une fois par semaine pendant un an, Tchang accepte d’aider Hergé à parfaire sa connaissance de la Chine en vue des prochaines aventures de Tintin dans ce pays. Leurs rencontres préparent Le Lotus Bleu. Le jeune Chinois va profondément influencer l’art graphique d’Hergé et enrichir sa perception de l’Autre. « Je lui dois aussi d’avoir mieux compris le sens de l’amitié, le sens de la poésie, le sens de la nature (…) Je mesure à quel point Tchang a eu son importance dans l’évolution de mon travail. Et dans mon évolution tout court », confiera Hergé dans ses entretiens avec Numa Sadoul en 1971.

©️ Hergé – Moulinsart 2021

Tchang repartira pour Shanghai en 1935 et attendra un demi-siècle avant de revoir son ami belge et de découvrir le chef-d’œuvre auquel il a tant contribué.

Cette exposition, la plus grande jamais encore réalisée dans le monde sur Hergé et Tintin, ne pouvait avoir lieu qu’à Shanghai, la ville du Lotus Bleu, la ville natale de Tchang Tchong-jen, la ville où s’est ouverte en 2019, la première boutique chinoise Tintin.

Philippe Wang, représentant de la société Moulinsart en Chine, a beaucoup œuvré à l’installation de cette boutique et s’enthousiasme des plus de 30 000 visiteurs chinois, venus de 47 villes différentes pour parler de Dingding, leur héros préféré. À chaque visite, des souvenirs émouvants s’échangent autour de la table installée au fond de la boutique, et témoignent de l’engouement pour un univers qui symbolise, en Chine comme ailleurs, le paradis perdu de l’enfance.

Les albums de Tintin ont ainsi offert au jeune Philippe Wang une échappée vers l’étranger à une époque où l’on ne sortait pas si facilement de Chine. Le plus gros client de la boutique, originaire de Chengdu, évoque quant à lui les raclées de son père, furieux de découvrir le soir venu un petit livre de plus sur l’étagère familiale, acheté par son fils en lieu et place de son repas du jour.

En effet, dans les années 1980, les albums Tintin ne sont officiellement pas autorisés en Chine. Ses aventures circulent sous forme de xiaorenshu, des tout petits formats de poche, souvent une vignette redessinée par page, au texte traduit de l’anglais ou du français, selon les copies.

Il faut attendre 2001 pour voir arriver officiellement les 22 albums de Tintin. Mais la traduction issue de la version anglaise ne fait pas l’unanimité. Fin 2009, la réédition des albums dans une traduction issue de la version originale française rencontre un vif succès et les ventes décollent. Une mine d’or pour la maison d’édition China Children’s Press & Publication Group, partenaire des éditions Casterman et distributeur exclusif des albums en Chine, qui a fait le choix de laisser les albums accessibles au plus grand nombre. Avec une couverture souple et un prix très abordable autour de 15 yuans, plus de 15 millions d’albums ont été vendus en Chine depuis 20 ans. L’album préféré des lecteurs chinois ? Le Lotus Bleu bien sûr.

Ces ventes s’inscrivent dans un marché des livres jeunesse en croissance constante depuis dix ans, et sur l’essor du e-commerce (en 2018, 86% des ventes de livres pour enfants se sont faites en ligne).

Aujourd’hui, la société Moulinsart, responsable de la création, production et commercialisation des produits Tintin, peut compter sur des réseaux de distribution chinois variés : la boutique physique, mais aussi deux boutiques virtuelles sur Tmall et JD.com, et des distributeurs locaux. Avec l’enthousiasme de la Chine ces dernières années pour le 9e art, le succès de Tintin et de la BD en général n’en est qu’à ses débuts !

À une époque où peur de l’étranger et repli nationaliste s’observent à travers le monde, les valeurs d’ouverture, de tolérance, de curiosité, véhiculées par Tintin, ne connaissent ni les frontières ni les virus. Quel bonheur de voir enfin Hergé poser ses valises et ses planches à Shanghai, lui qui n’a jamais pu le faire de son vivant !

Par Marie-Astrid Prache

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