Surprenant l’opinion du monde et celle du pays, Xi Jinping et Vladimir Poutine ont formalisé (18/02) la nouvelle qui circulait depuis des semaines : Chine et Russie vont commémorer ensemble la fin de la 2nde guerre mondiale.
A Moscou en mai, le n°1 russe tiendra « sa » cérémonie avec parmi ses hôtes, son homologue du Céleste Empire, qui réciproquera à Pékin le 3 septembre. En 2014, l’ANP avait déjà érigé ce moment en fête nationale. Mais l’événement exact de cette date donne à la célébration une coloration spéciale : en 1945, elle marquait la capitulation du Japon sous les bombes atomiques américaines !
Si la nouvelle a été publiée par étapes, avec discrétion, c’est qu’elle a de quoi surprendre : à l’époque, la Chine a moins vécu le drame militaire sur son sol comme un conflit planétaire, que comme une guerre d’invasion japonaise (débutée bien plus tôt d’ailleurs, à partir de 1920 au Shandong). De fait, le PCC depuis sa prise du pouvoir en 1949, jusqu’à 2013, s’abstenait de commémorer la guerre mondiale, comme si le pays n’en avait pas été partie prenante.
De plus, les relations avec Tokyo avaient longtemps progressé vers la normalisation : dans les années ‘60 en une boutade restée célèbre, Mao remerciait le Mikado d’avoir tenté cette folle guerre coloniale, qui avait permis au PCC de prendre le dessus sur Chiang Kai-chek !
Annonçant les célébrations communes, Pékin et Moscou n’ont pas manqué de préciser que la démarche « n’était pas dirigée contre le Japon ». Mais pour un analyste chinois, à part la Russie, seuls seront invités à Pékin des pays partageant avec elle la blessure de l’agression japonaise : les deux Corées, l’Asie du Sud-Est.
Or, la manœuvre n’est pas sans risque. Les pays de l’ASEAN seront écartelés entre leur souhait de bonnes relations avec la Chine (leur moteur de croissance) et leur souci face au rapide réarmement chinois et son expansion maritime. Des pays tels Vietnam ou Philippines viendront-ils ? Cela reste à voir, tout comme la Corée du Sud, alliée des Etats-Unis. Ces derniers avertissent vouloir se tenir « le plus à l’écart possible » de ces festivités.
L’autre question est de comprendre la rationalité d’une telle initiative. La raison la plus forte semble être la crainte chinoise… du réarmement japonais, qui cause en Chine un indiscutable traumatisme. Nonobstant, cette pression peu amicale de deux grands voisins ne fera rien pour affaiblir la détermination nippone de renforcer ses défenses, et la coopération avec les armées des USA, d’Inde, du Vietnam ou des Philippines.
Autre motivation plausible : Xi Jinping poursuit l’objectif d’un pays fort, et peut vouloir justifier la modernisation de son armée par le rappel de l’histoire. De même, l’incapacité du Japon à faire acte de contrition pour le massacre de Nankin (1937, 150.000 à 300.000 morts) dans les termes attendus par la Chine, semble être une autre raison probable. Fidèle à une ligne du Parti invariable depuis 20 ans, Xi veut mettre le Japon face à ses responsabilités.
Enfin, il ne faut pas exclure, pour cette célébration conjointe, un effet attendu à usage intérieur. Deux années de campagne anticorruption ont ébranlé le pays. Privés d’une part de leurs revenus, les petits cadres peinent à vivre de leurs salaires. Attendant leur tour, les hauts cadres tremblent et gèlent toute décision, figeant ainsi le développement général. La société elle, fait les comptes : la campagne a frappé peu de « tigres », mais beaucoup de « mouches », et voit pâlir son enthousiasme. Or dans cette perspective, une parade militaire, une solennité permettront aux foules de vibrer de fierté patriote. Et aux militaires, de se voir remis en valeur.
Enfin, de cette « joint-venture » politique entre Russie et Chine, lequel des deux pays est le plus demandeur ? Pas la Russie, qui a besoin du Japon pour équiper sa Sibérie et y investir, et qui a suffisamment de conflits avec Europe et Etats-Unis pour aller en chercher davantage. Il y a certes, le problème des Kouriles confisquées en 1945 par Staline au Japon, qui depuis les réclame. Mais Shinzo Abe, son 1er ministre, agit pour conserver de bons rapports avec la Russie, au vu des immenses réserves en hydrocarbures dont son pays est anxieux d’obtenir sa part.
Finalement, c’est Xi Jinping qui a imposé cette commémoration mixte, dans laquelle la Russie n’a que peu d’intérêt. Ce qui confirme bien ce que l’on voit depuis 2014 et la conclusion d’un accord pétrolier à 400 milliards de $, ultra-avantageux pour la Chine : la Russie a aujourd’hui beaucoup plus besoin de la Chine, que l’inverse. Les choix de Poutine vis-à-vis de l’Ukraine se paient, sous forme de sanctions occidentales. Et celle qui tire les fruits de cette situation, est la Chine.
Sommaire N° 8 (XX)