La Chèvre de bois s’élance le 19/02 au Chunjie (春节, fête du printemps). Signe astral charmant, mais mal-aimé : la croyance populaire voue les malheureux nés sous ce signe, à se débattre toute leur vie pour trouver de quoi vivre. Ainsi, les futures mères se dépêchent d’ accoucher avant la date fatidique, par césarienne si nécessaire : mieux vaut être « dernier cheval » (« yang », piaffant d’énergie), que chevrette (« yin », éternelle victime). En effet si la chèvre (alias mouton ou bélier) est douce, sociable et de santé solide (telles sont ses qualités alléguées), et si elle est douée pour la marche sur sol périlleux, elle souffre de faible compatibilité avec pas moins de 5 autres compères zodiacaux —rat, bœuf, serpent, chien et dragon.
Il n’en faut pas plus aux maîtres de Feng Shui se risquant dans le pronostic économique, pour parier sur un climat d’affaires défavorable en 2015, année coincée entre consolidation et chasse aux corrompus. L’agence CLSA en son Index Feng Shui préconise d’éviter d’ici l’été la Bourse, le commerce de détail, l’internet, et d’investir… dans le cachemire !
Mais d’où vient cette méfiance envers la chèvre ? Pour Isaac Yue, professeur de mythologie chinoise à l’Université de HK, la chèvre incarne la piété filiale et la compassion (vertus confucianistes et bouddhistes), mais la jeunesse est en rupture avec une telle morale, qu’elle associe (surtout en temps de crise) à la naïveté et à la duperie, dont elle veut se protéger.
Pour autant, le pessimisme astral est désavoué par l’existence sous le signe de la chèvre, d’autant de célébrités, telles Bill Gates, Steve Jobs, l’actrice Zhang Ziyi, le chanteur Jay Chou, Michel-Ange ou l’impératrice Cixi.
Au fait, sur ces croyances, on assiste à un curieux retournement de générations, telle cette femme de 71 ans qui déclare : « nous, les vieux, ne croyons pas à ces sornettes, ce sont les jeunes qui s’y laissent embringuer ». Sa génération née dans les années 40-50 a été formée aux valeurs d’athéisme et des lumières de la science, avec comme postulat la confiance en l’avenir et en la Révolution. Tandis que ses enfants ont vu s’éteindre l’ardeur rouge, et font un saut en arrière, pour retrouver les valeurs de leurs aïeux. C’est, en Chine à son tour, l’époque postmoderne !
En attendant la fête, la transhumance bat son plein. Du 04/02 au 15/03, 2,8 milliards de voyages auront lieu, 3,4% de plus qu’en 2014, dont 90% en bus, et 47 millions en avion. Les plus fortunés feront cap au sud, vers la Thaïlande, les Maldives et Bali pour l’étranger. D’autres, restant au pays, iront à Sanya, Xiamen et le Yunnan. Ici, on assiste à une rupture technologique en cours, sur le mode de choix du voyage, par rapport à 5 ans en arrière : 82% des voyageurs ont payé par internet, et 40% depuis leur smartphone.
Au plan commercial, le Chunjie est le moment où l’on dépense. Rien que par cartes « UnionPay », 2014 avait enregistré 200 milliards de ¥ de transactions, +23%. Mais cette année sera différente : dans les supermarchés, l’on compte ses sous pour les banquets familiaux et les cadeaux traditionnels. De même, les firmes offrent à leurs employés des étrennes plus modestes. C’est la nouvelle donne, le « nouveau normal » - la fin d’un âge d’or !
Sommaire N° 6-7 (XX)