Agroalimentaire : La réforme agraire tourne autour du pot

Comme depuis 12 ans, le Conseil d’Etat consacre (1er février) son 1er document de 2015 à l’Agriculture, fixant ses orientations. Désormais, finie la course au volume (la priorité depuis 20 ans), le nouveau cap, « nouveau normal » est désormais à la qualité des produits et la protection de l’environnement, selon le ministre Han Changfu (24/12). 

<p>En même temps, sans craindre la contradiction, Pékin veut accélérer la marche aux OGM en écartant leurs obstacles.
Fin août 2014 (cf n°29), le ministère avait surpris en révoquant deux permis de culture pilote de riz OGM et un de maïs, octroyés en 2009. Ces souches, selon les experts chinois et étrangers, étaient percluses d’erreurs de manipulation. Le manque à gagner était lourd : 3 milliards de ¥ auraient été investis en vain, et la Chine se privait d’une agriculture épargnant 80% des pesticides et offrant 10% de récolte supplémentaire.
L’argument-clé fut dit tout net par Han Jun, vice-directeur au Bureau Central des Affaires rurales (03/02) : avec ses besoins exponentiels en produits agricoles, la Chine ne pouvait se permettre de « laisser dominer son marché OGM par l’étranger ». Elle voit chaque année croître sa demande en viande et en produits laitiers, qui suppose un approvisionnement constant en céréales, soja et autres aliments du bétail : seule l’exploitation de toutes les filières productives pourrait la satisfaire. Et si l’OGM n’était produit en Chine, il serait importé, privant les paysans chinois de ce revenu.
La Chine exprime ici la hantise de prendre du retard face au reste du monde. L’Inde, par exemple, 4ème puissance OGM mondiale, a 11 millions d’hectares d’emblavures OGM, contre 3,9 millions en Chine—essentiellement en coton, une des deux cultures OGM autorisées. Il s’agit donc, pour Han Jun, de remettre à plat la recherche, pour obtenir une filière génétiquement modifiée stable et fiable. 
D’autre part, l’OGM en Chine n’a pas bonne presse –le régime n’a pas su convaincre, face à une opinion sensibilisée par le travail des ONG, telle Greenpeace. Pour Han Jun, il s’agit donc de remonter cette pente petit à petit, et convertir la population à ces produits, par un débat « transparent et démocratique » – une façon de communiquer assez novatrice et plutôt rare. 

Autre priorité du document n°1 : le contrôle des importations.
En oléagineux par exemple (culture pour laquelle le sol chinois est naturellement désavantagé), la Chine a importé l’an dernier 71 millions de tonnes – un montant gigantesque. Ici, le défi pour l’Etat est de concilier demande, qualité et revenu du paysan chinois, quoique le produit chinois souffre, de l’aveu même du responsable ministériel, de manque de compétitivité, arrivant à qualité inférieure, et à prix parfois double du marché mondial. Pour promouvoir compétitivité et technologie, la Chine subventionne –jusqu’à 8,5% du PIB rural, selon Chen Xiwen, autre concepteur de la politique agricole chinoise.
Le Heilongjiang par exemple, grenier à blé du Nord, verse au paysan 21.000$ par ha de nouvelles serres. L’un dans l’autre, selon Chen, le système permet d’équilibrer et respecter tous les paramètres, y compris les règles de l’OMC : les importations distinguent fiscalement un régime sous quota à faible taxe, et un autre hors quota, jusqu’à 60% plus cher.
« Cependant, ajoute ce technocrate, si les coûts de production devaient continuer à augmenter, le déséquilibre deviendrait insupportable ». 

D’où la 3ème priorité du document : pour faire face à l’exode rural massif en cours et à l’urbanisation galopante, l’agriculture chinoise doit se plier à une modernisation tous azimuts. Parmi les 32 sous-chapitres du document, comptent la qualité du produit (la baisse des pesticides et engrais), l’accès au crédit, le droit à émettre des obligations pour les groupes agroalimentaires les plus performants, le remembrement en fermes familiales de 5 ha (alors que 200 millions de paysans vont quitter leur village sous 20 ans), la mise à niveau des usines rurales, surtout agroalimentaires, l’amélioration du mécanisme de prix de l’eau (le droit aux paysans n’utilisant pas tout leur quota, de revendre le reliquat), l’accès à l’énergie, y compris renouvelable. 

Enfin, semble-t-il, une chose manque à ce plan : la révision du droit du sol. En rendant le paysan propriétaire, cette réforme lui permettrait de léguer à ses enfants, d’hypothéquer pour investir, d’être protégé contre les expropriations abusives, et finalement de voir remonter son revenu – à présent le tiers de celui du citadin.
« C’est aujourd’hui impossible, répond M. Chen, c’est interdit par la Constitution. Nous devons agir dans la sphère du réel ». Comme ersatz, le document n°1 parle de « renforcer l’Etat de droit », et de faire à cet effet des « tests pilotes » au niveau du district, à savoir poursuivre les expériences des dernières années, de ventes des titres de propriété du droit du sol…
A suivre, mais le message est clair : dans le monde rural comme en celui de la ville, c’est encore l’hiver. Le temps des grandes réformes sociétales n’est pas venu.

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