Politique : La Chine après la fronde

Xi Jinping se trouverait-t-il dans les guêtres d’un Louis XIV en début de règne ? L’analogie mérite qu’on s’y arrête : entre l’auteur du « Rêve de Chine » et le Roi Soleil, entre le XVIIème siècle français et le XXIème chinois, l’histoire vient offrir une subtile série de points de comparaison. 

<p>Ainsi, avant même son arrivée au pouvoir en mars 2013, le Président Xi s’est retrouvé, à l’instar de Louis XIV, confronté à une « fronde », révolution de palais par une coalition de grands du régime déterminés à préserver leurs privilèges. Comme Louis XIV, pour se défendre, Xi a dû disparaître quelques jours, le temps de préparer la contre-attaque. Puis une fois les rênes du pouvoir fermement en main, Xi n’a eu de cesse (comme le jeune roi) de remanier police et armée pour les rendre fiables, et de bannir ou faire arrêter les princes félons, ce qui dans les deux cas, a fait régner pendant un temps un climat politique glacial. 

Interrompons la comparaison pour poursuivre l’analyse : 22 mois après l’intronisation de Xi, la Chine vit dans un brouillard épais de luttes internes. Le 24 janvier, le Politburo se réunissait une fois de plus—la fréquence de ses meetings s’accélère. C’était pour réitérer « l’autorité absolue » du PCC et les « risques et défis de sécurité nationale sans précédent ». On peut s’en étonner, après 65 ans de règne sans alternance ni partage sur cet immense pays. Mais on peut mieux comprendre, quand selon la rumeur, début janvier, de hauts cadres auraient pu échapper à l’arrestation, en opposant leurs milices privées à la police. 

Toujours plus de personnalités sont soupçonnées de corruption : chevaliers d’industrie tels Li You, (CEO de Founder) voire Jack Ma (PDG d’Alibaba), apparatchiks (Li Yuanchao, vice-Président de la République, membre du Politburo, proche de Hu Jintao), artistes (le comédien Zhao Benshan). Fait inouï : sur demande de Xi-même, Xinyou Tongxun, la firme high-tech de ses sœurs ainées (Xi An ’an, Qi Qiaoqiao), aurait été récemment fermée. 

Chengming, hebdo de Hong Kong, croit que la CCID (Commission Centrale de Discipline du Parti)s’intéresserait à Zeng Qinghong. Cet ex-bras droit de Jiang Zemin (qui avait en vain tenté de l’imposer comme son successeur), serait accusé d’un patrimoine évidemment injustifiable par son traitement de haut cadre, de 3,2 milliards de $. 

Le 25 janvier, Xi visitait à Kunming (Yunnan) le 14ème corps d’armée : visite très symbolique, car cette force avait été créée avant 1949 par Bo Yibo, père de Bo Xilai (le « prince rouge », aujourd’hui en prison). En 2012, Bo Xilai avait « rendu visite » à cette force fidèle à son père, quelques jours avant de rentrer à Pékin et d’y être appréhendé.

En marge de ces événements, refleurit dans la presse un vocabulaire suranné : le 24 janvier, Xi adjure les membres du Parti d’« adhérer au matérialisme dialectique », pour mieux « approfondir la réforme ». Ce terme de l’époque glorieuse, sert à occuper un terrain gauchiste important par les temps qui courent (cf VdlC n° 1).

Le dernier développement ne surprendra pas : au même moment, le gouvernement se lance dans un resserrement de l’internet et une frappe sur les réseaux virtuels (VPN), l’outil unique permettant d’accéder à des milliers de sites étrangers, censurés en Chine. Les fournisseurs de VPN sont frappés par des moyens techniques nouveaux—c’est un tournant dans cette bataille de l’information et de la pensée. Pour certains, l’attaque est lancée en profitant de l’approche du Nouvel an lunaire : l’économie souffre moins de l’étranglement de ses liens avec l’étranger. Il s’agirait de censurer toute révélation sur la bataille politique –la presse justifie l’offensive par « la sécurité du territoire », voire la « souveraineté de la nation ». 

D’autres actions de la même eau sont l’interdiction réitérée aux écoles et grandes écoles de tout matériau pédagogique colportant des « valeurs occidentales », ou l’obligation nouvelle à tout écrivain de s’enregistrer pour pouvoir publier sur internet sous son vrai nom, mettant ainsi un terme à la longue tradition du nom de plume, incitant implicitement les auteurs à l’autocensure.

La mesure toutefois ne fait pas l’unanimité : plusieurs intellectuels chinois, et le South China Morning Post redoutent un prix à payer par la nation pour cette politique. Dût-elle durer, elle pourrait entraîner dans la société un déficit en recherche et en études, faute d’accès aux sources extérieures. Il s’en suivrait une baisse de compétitivité des universités chinoises, et un affaiblissement technologique du pays, du type de celui qu’avait vécu la Chine au temps des Ming.

Toutes ces mesures se trouvent heureusement mitigées par la présence de 600.000 jeunes Chinois hors frontières, dans des écoles et universités d’Europe et d’Amérique notamment—y compris les enfants de l’actuelle classe dirigeante ! Protégés de cet appauvrissement voulu par leurs pères, leurs progénitures seront en état, plus tard, de réinjecter en Chine les contenus aujourd’hui bannis de la pensée occidentale.

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