Génial, farfelu, ou carrément « Docteur Folamour », ce projet d’usine de clonage présenté le 23 novembre à Tianjin ? À vous de juger !
Assistés de deux instituts de biogénétique, Boyalife (Chine), Sooam Biotech (Corée du Sud), veulent ouvrir en juin, en joint-venture, la première usine de clonage vétérinaire, 31 millions de $ pour 15.000m² de surface dans la zone économique spéciale TEDA à Tianjin.
Un objectif est la reproduction d’animaux de valeur tels le mastiff tibétain (jusqu’à 100.000$) ou le chien policier renifleur—dont Sinica (filiale de Boyalife) en a déjà cloné 550.
Le gros de la production ira en bœuf Wagyu. D’abord limitée à 100.000 embryons par an, elle doit atteindre un million d’unités après quelques années.
Le procédé visé semble être la multiplication à grande échelle d’une cellule, par division cellulaire ou clonage reproductif. Dans ce cas, nul gène n’a été ôté, ni ajouté à la chaine ADN. Sans chercher à améliorer l’espèce, on se borne à reproduire des « jumeaux » d’un bon spécimen. La viande n’est donc pas « OGM » – détail important sous l’angle des chances de certification et des risques de santé humaine.
Xu Xiaochun et Hwang Woo-suk, les patrons de Boyalife et Sooam Biotech, insistent sur la finalité commerciale : produire en masse une viande de haute qualité – tendre et savoureuse.
Mais de l’avis d’éleveurs et d’experts en génomique, comme le professeur Denis Duboule (Genève), la qualité de la viande n’est pas uniquement déterminée par la génétique, mais principalement par le mode d’élevage et l’alimentation. Eric Palmer, expert mondial du clonage, rappelle que « la production des clones dans des mères porteuses, demande autant de terres ou d’aliments que la production conventionnelle ».
Pour quelles raisons avoir choisi la filière bovine plutôt que celle porcine par exemple ? Du fait d’une technique très au point. Chez les bovins, la collecte d’embryons par procédé « flushing» se fait sous anesthésie locale, et leur transfert aux vaches porteuses est simple et direct. Le premier atout de cette technique reproductive est un gain de temps précieux. D’autres avantages sont à espérer, réels bénéfices pour l’humanité : sécurité sanitaire (stabilité d’un produit scientifiquement régulé) et diversification des variétés (selon l’embryon choisi pour reproduction, indépendamment de l’espèce de la vache porteuse).
Le premier marché serait le Japon –qui est un marché à fort pouvoir d’achat. En Chine même, les auteurs du projet visent à concurrencer les importations à prix d’or de viande fraiche d’Australie ou d’Argentine, pour conquérir, 5% du marché.
Mais la JV n’a pas partie gagnée, vu le scepticisme des experts. Mme Han Lanzhi, de l’Académie des Sciences Agronomiques redoute des erreurs de manipulation, et le dérapage vers l’eugénisme sous l’effet de l’appât du gain : l’offre d’enfants modifiés pour plus de beauté, d’intelligence ou de force, avec risques pour l’avenir de l’espèce humaine.
Déjà, la JV annonce la production de « primates non-humains » pour l’expérimentation pharmaceutique. Or, le patron coréen ne se cache pas d’être venu en Chine, attiré par une législation moins rigide qu’en son pays sur le clonage : il avoue attendre le moment où la production d’humains deviendra acceptable…
Quelles sont au juste les chances de succès de cette « usine à bœufs » ? Une difficulté résidera dans le taux de réussite des transferts.
Chez BGI, groupe de clonage pékinois qui « fabrique » 500 porcs par an, on évoque un taux de réussite de 70 à 80%, mais Yann Morel, directeur Chine de Cooperl (n°1 français du porc) nous parle plutôt d’un taux d’échec de 80%.
Il y a un risque aussi du côté des consommateurs chinois, qui craignent d’être traités en « cobayes » en s’aventurant à consommer telle viande. Des scandales alimentaires tel celui du lait à la mélamine (2008) ont réduit la confiance en l’Etat comme contrôleur. L’implantation de l’usine dans la zone TEDA ne plaide pas non plus pour sa fiabilité, après son accident chimique d’août (176 morts, des milliards de $ de dégâts) due à la défaillance d’une firme et des services de contrôle.
Le passé de M. Hwang, le patron coréen n’aide pas davantage. « Père » du clonage dans son pays jusqu’en 2006, il avait été chassé de son université et éclaboussé par un jugement infamant pour cause de fraude et laxisme dans l’obtention d’ovules humains pour ses expérimentations.
Détail révélateur de l’état d’esprit de ses fondateurs, la JV inclura aussi une banque de gènes (5 millions de cellules de toutes espèces animales, y compris d’espèces disparues ou menacées), un centre de formation et de recherche, et un musée. Xu Xiaochun, le patron de Boyalife, déplore la « frilosité » de l’Occident face à la recherche génétique, et se voit lui-même contribuer par son audace à tracer l’avenir de son pays : « la Chine de la copie et du piratage, c’est fini ! Nous foulons à présent un chemin encore vierge. Bientôt, conclut-il, en biogénétique, nous serons leaders mondiaux ».
Savoir si l’affaire se soldera par plus de profits ou plus de « casse », et si la Chine, une fois enrichie, continuera ou non à encourager ce genre d’audace : l’avenir nous le dira.
Sommaire N° 39 (XX)