Il vient de sortir, le 12 novembre, le dernier billet de 100 yuans, œuvre de la China Banknote Printing & Minting Corporation (CBPM), filiale de la Banque Populaire de Chine – depuis 1984 la première émettrice mondiale de billets de banque.
Face au billet rose que nous connaissons, en cours depuis 2005, rien de changé – en apparence : Mao est toujours là, signe de volonté de respect à l’héritage idéologique. Mais au plan technique, le billet a été perfectionné par plusieurs progrès discrets voire invisibles, qui changent la donne.
Suivant l’angle de vision, le motif central passe du doré au vert. Sur le bandeau de droite, une bande pointillée passe du rose au vert. Sur ce même bandeau, le numéro de série est dupliqué en verticale. Au verso, l’impression en taille douce (déjà présente sur la version précédente, 5ème série, 2nde édition) du Grand Palais du peuple se trouve en relief. Le résultat de tout cela causera au faussaire des difficultés supplémentaires, pour créer une copie convaincante.
Il était temps : ces dernières années, la contrefaçon du billet rose inquiétait toujours plus l’autorité monétaire, infestant les ATM (avec bien sûr des complicités internes).
En valeur, les faux billets saisis en 2012 atteignaient 329 millions de ¥, mais leur chiffre était passé à 532 millions en 2014, progression intolérable.
Fait notable : seul le billet de 100¥ change (même si son prédécesseur lui coexistera quelques temps), mais non les autres coupures.
Les faux monnayeurs ne s’y sont pas trompés : la dernière mode est d’imprimer des faux billets intermédiaires, 10, 20 ou 50¥.
Le profit sera réduit, mais la méfiance moindre, et donc plus faciles à écouler.
Neuf fois sur dix, le billet en bois provient d’une seule région, l’ Est du Guangdong, où près de trois officines clandestines sont craquées chaque jour par la police.
Une simple machine offset peut parvenir à un résultat parfois assez bon pour faire hésiter l’utilisateur – mais non le détecteur.
Fait remarquable, 96% des faux billets proviennent d’une seule planche originelle, celle de Peng Daxiang, peintre de talent, condamné en 2013 à la perpétuité à Canton.
Les contrefaçons, disent les enquêteurs, sont cédées aux recéleurs au prix de départ de 6¥ l’unité. Vus les profits énormes, et en dépit des lourdes peines qu’ils encourent, les apprentis-contrefacteurs affluent : en 2014, un atelier pris d’assaut permit la saisie d’une tonne de billets roses fraîchement sortis des rotatives en moins d’une semaine. Les ouvriers « au noir » étaient payés 10.000¥ par jour—le salaire de la peur.
Mais la parade de l’Etat s’organise.
Depuis peu, machines de guichet et ATM savent lire le numéro de série du billet, permettant d’en retracer le parcours. Ainsi, les policiers peuvent espérer remonter au payeur et au receveur, dans une transaction frauduleuse.
Ceci renforce la guerre anti-corruption menée par Wang Qishan, patron de la Commission Nationale de Discipline. Wang a annoncé son but, très ambitieux mais pas inaccessible : déployer un réseau sécuritaire si étroit qu’il forcera le fonctionnaire à l’honnêteté étant donné la quasi-certitude d’être découvert en cas de tentative de malversation.
Ce nouveau billet présente surtout l’avantage de compliquer l’écoulement de l’argent détourné (des milliards de yuans) par les apparatchiks, caché dans leurs petits palais. En effet, ils ne pourront les présenter en banque pour remplacement par de nouveaux billets. Et comme les autres formes de placement sont à présent obligatoirement nominatives, il reste alors les bijoux et les œuvres d’art par exemple, pour protéger cet argent mal acquis.
Néanmoins, pour les libertés individuelles, la perspective est inquiétante, mais il faut remarquer que ce système autoritaire de contrôle monétaire sécurise la société entière, et pénalise tout monde du crime de l’ombre –celui des mafia et celui du terrorisme.
Les anciens billets pourraient être retirés de circulation sous quelques mois : déchiquetés, réduits en briques, ils peuvent aussi être brûlés. Un camion de 30 tonnes de vieux billets fournit 30 MWh d’électricité, le double du même poids en paille de riz.
Mais à quand la sortie d’une nouvelle série complète ? Pas avant trois à quatre ans, pensent les spécialistes.
Il serait déjà question d’éliminer le billet de 1 yuan (trop vite sale et vecteur de bactéries, forçant son remplacement fréquent).
La plus petite coupure deviendrait donc le 5 yuans. La relève du « 1 yuan » est déjà là, pièce de ferronickel, très utilisée à Shanghai.
Tout est une question de goût et de poids dans la poche!
Sommaire N° 38 (XX)